ISLAM - Les mathématiques et les autres sciences

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«Et vous avez en ma personne le meilleur barbier de Bagdad, un médecin expérimenté, un chimiste très profond, un astrologue qui ne se trompe point, un grammairien achevé, un parfait rhétoricien, un logicien subtil, un mathématicien accompli dans la géométrie, dans l’arithmétique, dans l’astronomie et dans tous les raffinements de l’algèbre; un historien qui sait l’histoire de tous les royaumes de l’Univers. Outre cela, je possède toutes les parties de la philosophie, j’ai dans ma mémoire toutes nos lois et toutes nos traditions, je suis poète, architecte...» Ainsi parlait le barbier dans Les Mille et Une Nuits . Non seulement les mathématiques occupent une place de choix dans l’encyclopédie du savoir populaire, mais l’algèbre y figure «en personne», avec ses raffinements. Or le barbier se fait ici l’écho de classifications des sciences bien plus savantes, celles d’al-F r b 稜 au Xe siècle, d’Avicenne au siècle suivant, parmi bien d’autres, qui, contrairement à d’autres classifications grecques ou hellénistiques, accueillent une nouvelle discipline, indépendante, et lui confèrent un titre propre: l’algèbre. La popularité des mathématiques, leur diffusion et le rôle privilégié de l’algèbre sont donc des traits de ce que l’on convient d’appeler les mathématiques arabes: mathématiques cultivées par des savants d’origines différentes, de religions diverses, sur une période de sept siècles environ – du IXe au XVIe siècle –, mais qui tous écrivaient en arabe.

Avant de retracer l’histoire de cette activité mathématique, poursuivons la genèse de ses traits principaux, et, pour cela, revenons à Bagdad au début du IXe siècle. L’entreprise de traduction des grandes compositions mathématiques hellénistiques est à son apogée; elle présente deux caractéristiques frappantes: les traductions sont l’œuvre de mathématiciens, souvent de premier ordre, comme Th bit ibn Qurra (mort en 901), et elles sont suscitées par la recherche la plus avancée de l’époque. Cette recherche elle-même n’a pas été animée par les seuls intérêts théoriques, mais aussi par les besoins de la nouvelle société, en astronomie, en optique, en arithmétique, dans le domaine des instruments de mesure, etc. Le début du IXe siècle est donc un grand moment d’expansion en arabe des mathématiques hellénistiques. Or c’est précisément à cette période, et dans ce milieu – celui de la Maison de la sagesse à Bagdad –, que Mu ムammad ibn M s al-Khw rizm 稜 rédige un livre dont le sujet et le style sont nouveaux. C’est dans ces pages, en effet, que surgit pour la première fois l’algèbre comme discipline mathématique distincte et indépendante. L’événement est crucial et fut perçu comme tel par les contemporains, tant pour le style de cette mathématique que pour l’ontologie de son objet et, plus encore, pour la richesse des possibilités qu’elle offrait désormais. Le style est à la fois algorithmique et démonstratif, et d’ores et déjà, avec cette algèbre, on entrevoit l’immense potentialité qui imprégnera les mathématiques à partir du IXe siècle: l’application des disciplines mathématiques les unes aux autres. En d’autres termes, si l’algèbre, en raison de son style et de la généralité de son objet, a rendu ces applications possibles, celles-ci, par leur nombre et par la diversité de leur nature, ne cesseront de modifier la configuration des mathématiques après le IXe siècle.

Les successeurs d’al-Khw rizm 稜 entreprennent progressivement l’application de l’arithmétique à l’algèbre, de l’algèbre à l’arithmétique, de l’une et de l’autre à la trigonométrie, de l’algèbre à la théorie euclidienne des nombres, de l’algèbre à la géométrie, de la géométrie à l’algèbre. Ces applications furent toujours les actes fondateurs de nouvelles disciplines ou de nouveaux chapitres. Ainsi verront le jour l’algèbre des polynômes, l’analyse combinatoire, l’analyse numérique, la résolution numérique des équations, la nouvelle théorie élémentaire des nombres, la construction géométrique des équations. D’autres effets résulteront de ces multiples applications, comme la séparation de l’analyse diophantienne entière et de l’analyse diophantienne rationnelle, devenue un chapitre à part entière de l’algèbre sous le titre d’«analyse indéterminée».

À partir du IXe siècle, le paysage mathématique n’est donc plus le même: il se transforme, ses horizons reculent. On assiste tout d’abord à l’extension de l’arithmétique et de la géométrie hellénistiques: théorie des coniques, théorie des parallèles, études projectives, méthodes archimédiennes pour la mesure des aires et des volumes courbes, problèmes isopérimétriques, transformations géométriques; tous ces domaines deviennent objet d’étude pour les mathématiciens les plus prestigieux – Th bit ibn Qurra, al-Q h 稜, Ibn Sahl, Ibn al-Haytham, entre autres – qui parviennent, par de profondes recherches, à les développer dans le même style que leurs devanciers, ou en le modifiant lorsque cela s’impose. En outre, au sein de ces mathématiques hellénistiques elles-mêmes, on aménage des régions non hellénistiques.

1. Les mathématiques

L’algèbre

Paru à Bagdad entre 813 et 830, Kit b al-jabr wa al-muq bala , d’al-Khw rizm 稜, est le premier livre où le terme d’algèbre apparaît dans un titre – al-jabr et al-muq bala y désignent à la fois une discipline et deux opérations; soit, par exemple, x 2 + cbx = d , avec cd ; l’algèbre consiste à transposer les expressions soustractives (x 2 + c = bx + d ), et al-muq bala à réduire les termes semblables: x 2 + (cd ) = bx .

Le but d’al-Khw rizm 稜 est clair, jamais conçu auparavant: élaborer une théorie des équations résolubles par radicaux, auxquelles peuvent être ramenés indifféremment les problèmes arithmétiques et géométriques, et ainsi pouvoir s’en servir dans le calcul, les échanges commerciaux, les successions, l’arpentage des terres, etc.

Dans la première partie de son livre, al-Khw rizm 稜 commence par définir les termes primitifs de cette théorie qui, en raison de l’exigence de résolution par radicaux et à cause de son savoir-faire en ce domaine, ne pouvait concerner que les équations des deux premiers degrés. Il s’agit en fait de l’inconnue – indifféremment appelée «racine» ou «chose» –, de son carré, des nombres rationnels positifs, des lois de l’arithmétique 梁, 憐, ÷, de l’égalité. Les principaux concepts introduits ensuite par al-Khw rizm 稜 sont l’équation du premier degré, celle du second degré, les binômes et les trinômes associés, la forme normale, les solutions algorithmiques et la démonstration de la formule de solution. Le concept d’équation apparaît dans le livre d’al-Khw rizm 稜 pour désigner une classe infinie de problèmes, et non pas, comme chez les Babyloniens, au cours de la solution de l’un ou l’autre problème. Par ailleurs, les équations ne sont pas présentées au cours de la solution des problèmes à résoudre, comme chez les Babyloniens ou chez Diophante, mais dès le départ, à partir des termes primitifs dont les combinaisons doivent donner toutes les formes possibles. Ainsi, al-Khw rizm 稜 donne, immédiatement après avoir introduit les termes primitifs, les six types suivants: ax 2 = bx , ax 2 = c , bx = c , ax 2 + bx = c , ax 2 + c = bx , ax 2 = bx + c . Il introduit ensuite la notion de forme normale et exige de réduire chacune des précédentes équations à la forme normale correspondante. Il en résulte en particulier, pour les équations trinômes: x 2 + px = q , x 2 + q = px , x 2 = px + q .

Al-Khw rizm 稜 passe alors à la détermination des formules algorithmiques des solutions. Il démontre également les différentes formules des solutions, non pas algébriquement, mais au moyen de la notion de l’égalité des aires. Il était vraisemblablement inspiré par une connaissance toute récente des Éléments d’Euclide, traduits par son collègue à la Maison de la sagesse al-Hajj j ibn Ma レar. Al-Khw rizm 稜 entreprend ensuite une brève étude de quelques propriétés de l’application des lois élémentaires de l’arithmétique aux expressions algébriques les plus simples. Il étudie ainsi les produits du type (abx ) (cdx ), avec a , b , c , dQ+.

Pour mieux saisir l’idée qu’al-Khw rizm 稜 se faisait de la nouvelle discipline, ainsi que la fécondité de celle-ci, il ne suffit certes pas de comparer son livre aux compositions mathématiques anciennes; il faut également examiner l’impact qu’il eut sur ses contemporains et sur ses successeurs. C’est alors seulement qu’il se dressera dans sa véritable dimension historique. Or l’un des traits, essentiels selon nous, de ce livre est qu’il a immédiatement suscité un courant de recherche algébrique. Le biobibliographe du Xe siècle al-Nad 稜m nous livre déjà une longue liste des contemporains et des successeurs d’al-Khw rizm 稜 qui ont poursuivi sa recherche. Y figurent parmi bien d’autres Ibn Turk, Sind ibn ‘Ali, al-Sa 稜dan n 稜, Th bit ibn Qurra, Ab K mil, Sin n ibn al-Fat ム, al- ネub b 稜, Ab al-Waf ’ al-B zj n 稜.

Au temps d’al-Khw rizm 稜 et immédiatement à la suite, on assiste essentiellement à l’extension des recherches que celui-ci a déjà entreprises: la théorie des équations quadratiques, le calcul algébrique, l’analyse indéterminée et l’application de l’algèbre aux problèmes de successions, de partages, etc. La recherche dans la théorie des équations s’est elle-même engagée dans plusieurs voies. La première est celle qui a déjà été frayée par al-Khw rizm 稜 lui-même, mais cette fois avec une amélioration de ses démonstrations protogéométriques: c’est la direction suivie par Ibn Turk qui, sans rien ajouter de nouveau, reprend une discussion plus serrée de la preuve. Plus importante est la voie qu’emprunte un peu plus tard Th bit ibn Qurra. Celui-ci revient en effet aux Éléments d’Euclide, à la fois pour établir les démonstrations d’al-Khw rizm 稜 sur des bases géométriques plus solides et pour traduire géométriquement les équations du second degré. Ibn Qurra est d’ailleurs le premier à distinguer nettement entre les deux méthodes, algébrique et géométrique, dont il cherche à montrer qu’elles aboutissent toutes deux au même résultat, c’est-à-dire à l’interprétation géométrique des procédés algébriques.

Mais cette traduction géométrique par Ibn Qurra des équations d’al-Khw rizm 稜 s’avère particulièrement importante, on le verra, pour le développement de la théorie des équations algébriques. Une autre traduction, bien différente, a eu lieu presque en même temps, qui elle aussi sera fondamentale pour le développement de la même théorie: celle des problèmes de géométrie dans les termes de l’algèbre. Al-M h n 稜, en effet, contemporain d’Ibn Qurra, ne commence pas seulement à traduire certains problèmes biquadratiques du livre X des Éléments en équations algébriques, mais aussi un problème solide, celui qui est donné dans De la sphère et du cylindre d’Archimède, en équation cubique.

On assiste également, après al-Khw rizm 稜, à l’extension du calcul algébrique. C’est là peut-être le principal thème de recherche, et le plus communément partagé, des algébristes succédant à celui-ci. On a ainsi commencé par étendre les termes mêmes de l’algèbre jusqu’à la sixième puissance de l’inconnue, comme on le voit chez Ab K mil et Sin n ibn al-Fat ム. Celui-ci définit d’ailleurs multiplicativement ces puissances, à la différence d’Ab K mil, qui en donne une définition additive. Mais c’est l’œuvre algébrique de ce dernier qui marque à la fois l’époque et l’histoire de l’algèbre. Outre l’extension du calcul algébrique, il intègre à son livre un nouveau chapitre d’algèbre, l’analyse indéterminée, ou l’analyse diophantienne rationnelle.

Mais on ne comprendrait rien à l’histoire de l’algèbre si on ne soulignait les apports de deux courants de recherche qui se sont développés durant la période précédemment considérée. Le premier portait sur l’étude des quantités irrationnelles, soit à l’occasion d’une lecture du dixième livre des Éléments , soit, en quelque sorte, indépendamment. On peut évoquer, parmi bien d’autres mathématiciens qui ont pris part à ces recherches, les noms d’al-M h ni, Sulaym n Ibn ‘I ルma, al-Kh zin, al-A ムw z 稜, Y ムanna ibn Y suf, al-H shim 稜. Le second courant de recherche a été provoqué par la traduction des Arithmétiques de Diophante en arabe, et notamment par la lecture algébrique de ce livre [cf. DIOPHANTE D'ALEXANDRIE]. Or ces Arithmétiques , même si elles ne sont pas un ouvrage d’algèbre au sens d’al-Khw rizm 稜, contiennent néanmoins des techniques du calcul algébrique, puissantes pour l’époque: substitutions, éliminations, changements de variables, etc. Elles furent objet de commentaires par des mathématiciens comme Ibn L q , leur traducteur, au IXe siècle, et Ab al-Waf ’ al-B zj n 稜 un siècle plus tard, mais ces textes sont malheureusement perdus.

Quoi qu’il en soit, ce progrès du calcul algébrique, soit par son extension à d’autres domaines, soit par la masse des résultats techniques obtenus, a abouti au renouvellement de la discipline elle-même. Un siècle et demi après al-Khw rizm 稜, le mathématicien de Bagdad al-Karaj 稜 a conçu un autre projet de recherche: appliquer l’arithmétique à l’algèbre, c’est-à-dire étudier systématiquement l’application des lois de l’arithmétique et de certains de ses algorithmes aux expressions algébriques et en particulier aux polynômes. C’est précisément ce calcul sur les expressions algébriques de la forme:

qui est devenu le principal objet de l’algèbre. La théorie des équations algébriques est certes toujours présente, mais n’occupe qu’une place modeste dans les préoccupations des algébristes. On comprend dès lors que les livres d’algèbre subissent des modifications non seulement dans leur contenu, mais aussi dans leur organisation.

Sans reprendre ici l’histoire de six siècles d’algèbre, illustrons cet impact de l’œuvre d’al-Karaj 稜 en nous tournant vers l’un de ses successeurs du XIIe siècle, al-Samaw’al (mort en 1174). Celui-ci intègre dans son algèbre, Al-B hir , les principaux écrits d’al-Karaj 稜. Al-Samaw’al commence par définir en toute généralité la notion de puissance algébrique – voici ce qu’il écrit, après avoir noté dans un tableau, de part et d’autre de x 0, les puissances: «Si les deux puissances sont de part et d’autre de l’unité, à partir de l’une d’elles nous comptons en direction de l’unité le nombre des éléments du tableau qui séparent l’autre puissance de l’unité, et le nombre est du côté de l’unité. Si les deux puissances sont du même côté de l’unité, nous comptons en direction opposée à l’unité.» Grâce à la définition x 0 = 1, al-Samaw’al donne la règle équivalente à xmxn = xm +n , m , nZ. Vient ensuite l’étude des opérations arithmétiques sur les monômes et les polynômes, notamment celle de la divisibilité des polynômes, ainsi que de l’approximation des fractions par les éléments de l’anneau des polynômes. On a, par exemple,

où al-Samaw’al obtient une sorte de développement limité h (x ) = f (x )/g (x ), qui n’est valable que pour x suffisamment grand.

On rencontre ensuite l’extraction de la racine carrée d’un polynôme à coefficients rationnels. Mais à tous ces calculs sur les polynômes al-Karaj 稜 avait consacré un écrit, perdu à présent mais heureusement cité par al-Samaw’al, où il s’emploie à établir la formule du développement binomial et le tableau des coefficients:

C’est à l’occasion de la démonstration de cette formule que l’on a vu apparaître sous une forme archaïque l’induction complète finie comme procédé de la preuve en mathématiques. Parmi les moyens du calcul auxiliaire, al-Samaw’al donne, à la suite d’al-Karaj 稜, la somme des différentes progressions arithmétiques, avec leur démonstration:

Vient ensuite la réponse à la question que voici: «Comment la multiplication, la division, l’addition, la soustraction et l’extraction des racines peuvent-elles être utilisées pour les quantités irrationnelles?» La réponse à cette question a mené al-Karaj 稜 et ses successeurs à lire algébriquement, et d’une manière délibérée, le livre X des Éléments , à étendre à l’infini les monômes et les binômes donnés dans ce livre, et à proposer des règles de calcul parmi lesquelles on trouve explicitement formulée celle d’al-M h n 稜:

avec d’autres comme celle-ci:

On trouve également un chapitre important sur l’analyse diophantienne rationnelle et un autre sur la résolution de systèmes d’équations linéaires à plusieurs inconnues. Al-Samaw’al donne un système de deux cent dix équations linéaires à dix inconnues.

À partir des travaux d’al-Karaj 稜, on voit se constituer un courant de recherche en algèbre, une tradition reconnaissable au contenu et à l’organisation de chacun des travaux. Au sein de ce courant, le chapitre sur la théorie des équations algébriques à proprement parler, sans être central, a cependant fait quelques progrès. Al-Karaj 稜 lui-même a considéré, tout comme ses prédécesseurs, les équations quadratiques. Certains de ses successeurs tentaient cependant d’étudier la solution des équations cubiques et des équations du quatrième degré. Ainsi al-Sulam 稜, au XIIe siècle, s’est attaqué à l’équation cubique pour chercher une solution par radicaux. Ce texte d’al-Sulam 稜 témoigne de l’intérêt porté par les mathématiciens de son époque à la solution par radicaux des équations cubiques.

Les algébristes arithméticiens tenaient à la solution par radicaux des équations et voulaient justifier l’algorithme de solution. Parfois même, on rencontre chez le même mathématicien, Ab K mil par exemple, deux justifications, l’une géométrique et l’autre algébrique. Pour l’équation cubique, il leur manquait non seulement les solutions par radicaux, mais également la justification de l’algorithme de solution, puisque la solution n’est pas constructible à la règle et au compas. Le recours aux sections coniques, explicitement destiné à résoudre des équations cubiques, a rapidement suivi les premières traductions algébriques des problèmes solides. Nous avons évoqué au IXe siècle al-M h n 稜 et le lemme d’Archimède (voir comment al-Khayy m retrace à sa manière cette histoire dans son célèbre traité d’algèbre: L’Œuvre algébrique d’al-Khayy m , pp. 11-12, Alep, 1981); les autres problèmes tels que la trisection de l’angle, les deux moyennes, l’heptagone régulier notamment ne tarderont pas à être traduits dans les termes de l’algèbre. Mais, en outre, confrontés à la difficulté évoquée auparavant, et ainsi à celle de résoudre par radicaux l’équation cubique, les mathématiciens du Xe siècle comme al-Kh zin, Ibn ‘Ir q, Ab al-J d ibn al-Layth ou al-Shann 稜 ont été amenés à traduire cette équation dans la langue de la géométrie (op. cit. , pp. 82-84). Ils se trouvaient ainsi en mesure d’appliquer à l’étude de cette équation une technique couramment employée à cette époque dans l’examen des problèmes solides, c’est-à-dire l’intersection des courbes coniques. C’est précisément là que réside la principale raison de la géométrisation de la théorie des équations algébriques. Cette fois, contrairement à Th bit ibn Qurra, on ne cherche pas à traduire géométriquement les équations algébriques pour trouver l’équivalent géométrique de la solution algébrique déjà obtenue, mais à déterminer, à l’aide de la géométrie, les racines positives de l’équation que l’on ne parvient pas encore à obtenir autrement. Les tentatives d’al-Kh zin, d’al-Q h 稜, d’Ibn al-Layth, d’al-Shann 稜, d’al-B 稜r n 稜 notamment sont autant de contributions partielles, jusqu’à la conception du projet par al-Khayy m (1048-1131): l’élaboration d’une théorie géométrique des équations de degré inférieur ou égal au troisième. Pour chacun des types de ces équations, al-Khayy m trouve une construction d’une racine positive par l’intersection de deux coniques. Ainsi, par exemple, pour résoudre l’équation «un cube est égal à des côtés plus un nombre», c’est-à-dire x 3 = bx + c , avec b , c 礪 0, al-Khayy m ne considère que la racine positive. Pour la déterminer, il procède par l’intersection d’une demi-parabole et d’une branche d’hyperbole équilatère.

Pour élaborer cette nouvelle théorie, al-Khayy m s’est vu contraint à mieux concevoir et à formuler les nouveaux rapports entre la géométrie et l’algèbre. Rappelons qu’à cet égard le concept fondamental introduit par al-Khayy m est celui d’unité de mesure, qui, convenablement défini en rapport avec celui de dimension, permet l’application de la géométrie à l’algèbre. Or cette application a mené al-Khayy m dans deux directions, qui peuvent paraître à première vue paradoxales: alors que l’algèbre s’identifie maintenant à la théorie des équations algébriques, celle-ci semble désormais, quoique timidement encore, transcender le clivage entre l’algèbre et la géométrie. La théorie des équations est plus que jamais un lieu où se rencontrent algèbre et géométrie et, de plus en plus, des raisonnements et des méthodes analytiques. Dans son traité, al-Khayy m parvient à deux résultats remarquables que les historiens ont coutume d’attribuer à Descartes: d’une part, une solution générale de toutes les équations du troisième degré par l’intersection de deux coniques et, d’autre part, un calcul géométrique rendu possible par le choix de longueur unité, tout en restant, contrairement à Descartes, fidèle à la règle d’homogénéité.

Al-Khayy m, notons-le, ne s’arrête pas là, mais tente de donner une solution numérique approchée de l’équation cubique. Ainsi, dans un mémoire intitulé Sur la division d’un quart de cercle , dans lequel il annonce son nouveau projet sur la théorie des équations, il parvient à une solution numérique approchée au moyen des tables trigonométriques.

Jusqu’à une date récente, on croyait que la contribution des mathématiciens de l’époque à la théorie des équations algébriques se limitait à al-Khayy m et à son œuvre. Or il n’en est rien. Non seulement l’œuvre d’al-Khayy m a inauguré une véritable tradition, mais, bien plus, elle a été profondément transformée un demi-siècle à peine après sa mort. Deux générations après al-Khayy m, nous rencontrons l’une des œuvres les plus importantes de ce courant: le traité de Sharaf al-D 稜n al- ヘ s 稜 Sur les équations (1170 env.), qui apporte de très importantes innovations par rapport à celui d’al-Khayy m. À la différence de celle de son prédécesseur, la démarche d’al- ヘ s 稜 n’est plus globale et algébrique, mais locale et analytique. Ce changement radical, particulièrement important dans l’histoire des mathématiques classiques, peut constituer un pont entre l’algèbre classique et la préhistoire des méthodes infinitésimales. Mais l’exemple d’al- ヘ s 稜 suffit à montrer que la théorie des équations non seulement s’est transformée depuis al-Khayy m, mais n’a cessé de s’écarter toujours davantage de la recherche de solutions par radicaux; elle a ainsi fini par couvrir un vaste domaine, comportant des secteurs qui, plus tard, appartiendront à la géométrie analytique, ou simplement à l’analyse.

L’analyse combinatoire

L’activité combinatoire a commencé par se manifester comme telle, mais d’une manière dispersée, chez les linguistes, d’une part, et chez les algébristes, d’autre part. Ce n’est que plus tard que se fera la liaison entre les deux courants, et que l’analyse combinatoire se présentera comme un instrument mathématique applicable aux situations les plus diverses: linguistiques, philosophiques, mathématiques, etc. C’est alors que l’on peut parler d’activité combinatoire en arabe. Au IXe siècle déjà, on rencontre cette activité chez les linguistes et les philosophes qui posent des problèmes liés au langage, dans trois domaines notamment: la phonologie, la lexicographie et, enfin, la cryptographie. Le nom d’al-Khal 稜l ibn A ムmad (718-786) marque l’histoire de ces trois disciplines. Celui-ci a eu recours explicitement, pour la constitution de la lexicographie arabe, au calcul des arrangements et des combinaisons. Pour la composition du lexique, al-Khal 稜l commence par calculer le nombre des combinaisons – sans répétition – des lettres de l’alphabet, prises r à r , avec r = 2, ..., 5, et, ensuite, le nombre des permutations de chaque groupe de r lettres. En d’autres termes, il calcule

n étant le nombre des lettres de l’alphabet, 1 麗 r 諒 5. Or cette théorie et ce calcul d’al-Khal 稜l se retrouvent ensuite dans les écrits de la plupart des lexicographes. Ils servirent par ailleurs dans la cryptographie, développée, à partir du IXe siècle, par al-Kind 稜, puis, à la fin de ce même siècle et au début du suivant, par des linguistes comme Ibn Wa ムshiyya, Ibn ヘab レab , parmi bien d’autres. Dans la pratique de leur discipline, les cryptographes ont eu recours à l’analyse phonologique d’al-Khal 稜l, au calcul de la fréquence des lettres dans l’arabe et au calcul des permutations, des substitutions et des combinaisons.

En même temps que cette importante activité combinatoire, les algébristes, nous l’avons vu, avaient énoncé et démontré, à la fin du Xe siècle, la règle de formation du triangle arithmétique pour le calcul des coefficients binomiaux. Al-Karaj 稜 avait en effet donné la règle:

Les algébristes appliquaient les nouvelles règles dans leurs calculs. Al-Samaw’al, par exemple, se donne dix inconnues et cherche un système d’équations linéaires à six inconnues. Il combine alors les dix chiffres décimaux considérés pour ainsi dire comme symboles de ces inconnues – on dirait aujourd’hui leurs indices – six à six et obtient ainsi son système de deux cent dix équations. Il procède également au moyen des combinaisons pour trouver les cinq cent quatre conditions de compatibilité de ce système. Toutes ces activités combinatoires, ces règles découvertes au cours de la recherche linguistique et des études algébriques ont constitué les conditions concrètes de l’émergence de ce nouveau chapitre des mathématiques. Il reste cependant que l’acte de naissance de celui-ci réside dans l’interprétation explicitement combinatoire du triangle arithmétique, de sa loi de formation, etc., c’est-à-dire des règles données par al-Karaj 稜 comme instruments du calcul. Il serait excessif de penser que les algébristes n’avaient pas saisi cette interprétation assez tôt. Nous sommes au contraire de plus en plus convaincu que cette interprétation avait été aperçue par les algébristes, mais que rien ne leur imposait d’en donner une formulation explicite. L’interprétation combinatoire est bien là, très vraisemblablement avant le XIIIe siècle, comme nous sommes maintenant en mesure de le montrer grâce à un texte jusqu’ici inconnu, du mathématicien et philosophe Na ル 稜r al-D 稜n al- ヘ s 稜 (1201-1273). La lecture de ce texte montre que ce dernier connaissait cette interprétation; il la présente tout naturellement comme une chose admise et l’exprime dans une terminologie que l’on retrouvera, totalement ou en partie, chez ses successeurs. Au cours de cette étude, il a été amené à calculer le nombre des combinaisons de n objets distincts pris k à k , avec 1 諒 kn . Ainsi, il calcule, pour n = 12:

et utilise au cours de son calcul l’égalité:

Notons maintenant qu’al- ヘ s 稜 avait donné dans son livre d’arithmétique Jaw mi‘ al- ネis b le triangle arithmétique, sa loi de formation. Al- ヘ s 稜 calcule une expression équivalente à:

À partir d’al- ヘ s 稜 au moins, et très vraisemblablement avant lui, on ne cessera pas de trouver l’interprétation combinatoire du triangle arithmétique et de sa loi de formation, ainsi que l’ensemble des règles élémentaires de l’analyse combinatoire. Comme nous l’avons montré, vers la fin de ce même siècle et au début du XIVe siècle, Kam l al-D 稜n al-F ris 稜 (mort en 1319), dans un mémoire sur la théorie des nombres, revient à cette interprétation et établit l’usage du triangle arithmétique pour les ordres numériques, c’est-à-dire le résultat que l’on attribue ordinairement à Pascal. En effet, pour former les nombres figurés, al-F ris 稜 établit une relation équivalente à:

avec Fqp le p -ième nombre figuré d’ordre q , 1q = 1.

Mais, alors qu’al-F ris 稜 s’adonnait à ces travaux en Iran, Ibn al-Bann ’ (mort en 1321) s’occupait en même temps au Maroc de l’analyse combinatoire. Celui-ci, en effet, revient à l’interprétation combinatoire et reprend les règles connues avant lui, notamment celles d’arrangement de n objets distincts, sans répétition, r à r , de permutations, de combinaisons sans répétition:

relations facilement déductibles de l’expression () donnée par al-Karaj 稜 trois siècles auparavant.

Al-F ris 稜 et Ibn al-Bann ’ non seulement succèdent à al- ヘ s 稜, mais utilisent la majeure partie du lexique déjà adopté par ce dernier. Avec ces auteurs, l’analyse combinatoire n’a plus pour seuls champs d’application l’algèbre ou la linguistique, mais aborde les domaines les plus variés, la métaphysique par exemple, c’est-à-dire toute matière où l’on s’occupe de la partition d’un ensemble d’objets.

Cette conception et ce chapitre survivront à cette époque. On continuera de se pencher sur l’analyse combinatoire dans les différents ouvrages de mathématiques, et on lui consacrera des traités indépendants; c’est le cas de mathématiciens comme al-K sh 稜, Ibn al-Malik al-Dimashq 稜, al-Yazd 稜, Taq 稜 al-D 稜n ibn Ma’r f, pour ne citer que ces quelques noms.

L’analyse numérique

Comparées aux mathématiques hellénistiques, les mathématiques arabes offrent un nombre bien plus important d’algorithmes numériques. L’algèbre, en effet, n’a pas seulement fourni les moyens théoriques indispensables à ce développement – ne fût-ce que l’étude des expressions polynomiales et les règles combinatoires – mais aussi un vaste domaine d’application de ces techniques: les méthodes développées pour déterminer les racines positives des équations numériques. La recherche en astronomie a par ailleurs incité les mathématiciens à reprendre les problèmes de l’interpolation de certaines fonctions trigonométriques. Certaines de ces méthodes, on le verra, ont été appliquées dans la recherche quantitative en optique. Le résultat, on le devine déjà, est une somme appréciable de techniques numériques, qu’il est impossible de décrire en un si petit nombre de pages. Plus importante encore que le nombre des algorithmes numériques trouvés par ces mathématiciens fut la découverte de nouveaux axes de recherche tels que la justification mathématique des algorithmes, la comparaison entre les différents algorithmes en vue de choisir le meilleur et, pour tout dire, la réflexion consciente sur la nature et la limite des approximations.

Reste donc à revenir aux principaux domaines qui partageaient l’analyse numérique: l’extraction des racines d’un entier et la résolution des équations numériques, d’une part, et les méthodes d’interpolation, d’autre part. Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire des mathématiques arabes, on rencontre des algorithmes pour extraire les racines carrées et cubiques, dont les uns sont d’origine hellénistique, alors que d’autres sont très vraisemblablement d’origine indienne et que d’autres enfin sont dus aux mathématiciens arabes eux-mêmes. Ainsi, parmi les formules qui circulaient au début du Xe siècle, on en note deux particulièrement, appelées chacune l’«approximation conventionnelle», et qui sont:

À la fin de ce même siècle, les mathématiciens possédaient de toute évidence la méthode dite de Ruffini-Horner. K shy r ibn al-Labb n applique cet algorithme, d’origine indienne selon toute vraisemblance, dans son Arithmétique . Nous savons à présent qu’Ibn al-Haytham (mort après 1040) non seulement connaissait cet algorithme, mais s’est efforcé de lui donner une justification mathématique. C’est sa démarche générale que nous exposons ici, mais dans un langage différent.

Soit le polynôme à coefficients entiers f (x ) et l’équation

Soit s une racine positive de cette équation, et supposons (si )i 閭 0 une suite d’entiers positifs telle que les sommes partielles

on dit que les si sont les parties de s .

Il est évident que l’équation

a pour racines celles de l’équation (1) diminuées de s 0.

Pour i 礪 0, formons par récurrence l’équation:

ainsi par exemple, pour i = 1, on a:

La méthode appliquée par Ibn al-Haytham, et justifiée par lui, qui se trouve employée par K shy r et qui est dite de Ruffini-Horner, fournit un algorithme qui permet d’obtenir les coefficients de la i -ième équation à partir des coefficients de la (i – 1)-ième équation. C’est là la principale idée de cette méthode.

L’ensemble des méthodes et des résultats précédents, acquis au début du XIe siècle, se retrouvent ensuite non seulement chez les contemporains de ces mathématiciens, mais dans la majorité des traités d’arithmétique, bien nombreux ensuite. Entre bien d’autres, rappelons les traités d’al-Nasaw 稜, le successeur de K shy r, de Na ル 稜r al-D 稜n al- ヘ s 稜, d’Ibn al-Khaww m al-Baghd d 稜, de Kam l al-D 稜n al-F ris 稜...

En possession du triangle arithmétique et de la formule du binôme dès la fin du Xe siècle, les mathématiciens ne rencontraient plus de difficultés majeures pour la généralisation des précédentes méthodes et pour la formulation de l’algorithme dans le cas de la racine n -ième. Et, de fait, de telles tentatives, malheureusement perdues, ont déjà existé au XIe siècle avec al-B 稜r n 稜 et al-Khayy m. C’est dans sa contribution de 1172-1173 qu’al-Samaw’al non seulement applique la méthode dite de Ruffini-Horner pour l’extraction de la racine n -ième d’un entier sexagésimal, mais formule un concept clair de l’approximation. Par «approcher», le mathématicien du XIIe siècle entend: connaître un nombre réel au moyen d’une suite de nombres connus avec une approximation que le mathématicien peut rendre aussi petite qu’il veut. Il s’agit donc de mesurer l’écart entre la racine n -ième irrationnelle et une suite de nombres rationnels. Après avoir défini le concept d’approximation, al-Samaw’al commence par appliquer la méthode dite de Ruffini-Horner pour l’exemple f (x ) = x 5 – Q = 0, avec: Q = 0; 0, 0, 2, 33, 43, 36, 48, 8, 16, 52, 30.

Or cette méthode survivra au XIIe siècle et se trouve dans bien d’autres traités d’«arithmétique indienne», comme on disait alors. On la retrouvera encore plus tard chez les prédécesseurs d’al-K sh 稜, chez al-K sh 稜 lui-même ainsi que chez ses successeurs. Pour ne prendre que l’exemple de celui-ci, dans sa Clé de l’arithmétique il résout f (x ) = x 5N = 0, avec: N = 44 240 899 506 197.

Si maintenant nous en venons à l’extraction de la racine n -ième irrationnelle d’un entier, nous rencontrons une situation analogue. Dans son Traité d’arithmétique , al-Samaw’al donne en effet une règle pour approcher par des fractions la partie non entière de la racine irrationnelle d’un entier et donne des expressions équivalentes à:

c’est-à-dire:

Il s’agit donc de la généralisation de ce que les mathématiciens ont appelé l’«approximation conventionnelle». Nous la trouvons plus tard chez tant de mathématiciens, comme Na ル 稜r al-D 稜n al- ヘ s 稜 et al-K sh 稜. C’est d’ailleurs pour améliorer ces approximations que l’on a conçu d’une manière explicite les fractions décimales, comme le montre l’exemple d’al-Samaw’al.

C’est au cours de la recherche sur l’extraction de la racine n -ième et les problèmes d’approximation que l’on a élaboré la première théorie des fractions décimales au XIIe siècle. Le premier exposé connu de ces fractions, donné en 1172-1173 par al-Samaw’al, montre que l’algèbre des polynômes est essentielle à l’invention de ces fractions. Celles-ci survivent dans l’œuvre d’al-K sh 稜 (mort en 1436-1437) et se retrouvent dans les œuvres des mathématiciens et astronomes Taq 稜 al-D 稜n ibn Ma’r f au XVIe siècle et al-Yazd 稜 au XVIIe siècle. Plusieurs signes suggèrent qu’elles furent transmises en Occident avant le milieu du XVIIe siècle, et elles sont nommées dans un manuscrit byzantin apporté à Vienne en 1562 comme les fractions «des Turcs».

Signalons enfin que les méthodes d’interpolation ont été, depuis longtemps, appliquées par les astronomes. À partir du IXe siècle déjà, ils ont cherché des méthodes pour former et utiliser des tables astronomiques et trigonométriques, et, à cette occasion, ils sont revenus aux méthodes d’interpolation pour les améliorer.

La pluralité des méthodes à la fin du Xe siècle a posé un nouveau problème à la recherche: comment comparer entre elles ces différentes méthodes, pour choisir la plus performante pour la fonction tabulaire étudiée? Al-B 稜r n 稜 lui-même commence à se poser cette question et à confronter différentes méthodes pour le cas de la fonction cotangente, avec ses difficultés qui tiennent à l’existence des pôles. Au siècle suivant, al-Samaw’al s’est encore plus explicitement attaqué à cette tâche. Les mathématiciens n’ont pas seulement poursuivi leurs recherches sur ces méthodes; ils les ont également appliquées à des disciplines autres que l’astronomie. Ainsi Kam l al-D 稜n al-F ris 稜 a recours à l’une d’entre elles – dite qaws al- face="EU Domacr" 更il f , l’«arc de la différence» – pour établir le tableau des réfractions. Mais cette méthode, appliquée par Kam l al-D 稜n al-F ris 稜 au début du XIVe siècle, remonte au mathématicien al-Kh zin, du Xe siècle, et sera reprise ensuite au XVe siècle par al-K sh 稜, dans son Z 稜j Kh q n 稜 . Voilà qui montre bien que, pour ce chapitre, il s’agit des étapes d’une même tradition.

L’analyse indéterminée

L’émergence de l’analyse indéterminée, ou, comme on la nomme aujourd’hui, de l’analyse diophantienne, en tant que chapitre distinct de l’algèbre, remonte aux successeurs d’al-Khw rizm 稜, et notamment à Ab K mil, dans son Algèbre , écrite vers 880. Ab K mil entend ne plus s’arrêter à un exposé dispersé, mais donner un exposé plus systématique, où apparaissent, outre les problèmes et les algorithmes de solution, les méthodes. Il traite, il est vrai, dans une dernière partie de son livre, de trente-huit problèmes diophantiens du second degré et des systèmes de ces équations, quatre systèmes d’équations linéaires indéterminées, d’autres systèmes d’équations linéaires déterminées, un ensemble de problèmes qui se ramènent aux progressions arithmétiques et une étude de celles-ci. Cet ensemble répond au double but fixé par Ab K mil: résoudre des problèmes indéterminés et, par ailleurs, résoudre par l’algèbre des problèmes traités alors par les arithméticiens. Notons que c’est dans l’Algèbre d’Ab K mil que l’on rencontre pour la première fois dans l’histoire – à notre connaissance – une distinction explicite entre des problèmes déterminés et des problèmes indéterminés. Or l’examen de ces trente-huit problèmes diophantiens ne reflète pas seulement cette distinction, il montre en outre que ces problèmes ne se succèdent pas au hasard, mais selon un ordre indiqué en filigranne par Ab K mil.

Les vingt-cinq premiers relèvent ainsi tous d’un seul et même groupe, pour lequel Ab K mil donne une condition nécessaire et suffisante pour déterminer les solutions positives. Prenons seulement deux exemples. Le premier problème de ce groupe se réécrit:

Ab K mil se propose de donner deux solutions, parmi, selon ses propres déclarations, l’infinité des solutions rationnelles. Un autre exemple du même groupe est le problème no 19, qui se réécrit:

Il considère alors la forme générale:

Il donne alors la condition suffisante pour déterminer les solutions rationnelles positives de l’équation précédente. Celle-ci se réécrit:

posons maintenant:

on a:

et le problème est ainsi ramené à partager un nombre, somme de deux carrés, en deux autres carrés; problème no 12 du même groupe, et déjà résolu par Ab K mil. Supposons en effet que:

avec u et v rationnels. Ab K mil pose:

il substitue dans (2) et trouve les valeurs de y , t et ensuite x . Ainsi il sait que, si l’une des variables peut être exprimée comme fonction rationnelle de l’autre, ou, en d’autres termes, si l’on peut avoir un paramétrage rationnel, on a toutes les solutions; alors qu’en revanche si la somme nous conduit à une expression dont le radical est incontournable, on n’a aucune solution. En d’autres termes, inconnus d’Ab K mil, une courbe du second degré du genre 0 ne possède aucun point rationnel, ou est birationnellement équivalente à une droite.

Le deuxième groupe est constitué de treize problèmes – nos 26 à 38 – qu’il est impossible de paramétrer rationnellement; ou, cette fois encore dans un langage inconnu d’Ab K mil, ils définissent tous des courbes du genre 1. Ainsi, par exemple, le problème no 31 se réécrit:

qui définit une quartique gauche, courbe de A3 du genre 1.

Le troisième groupe de problèmes indéterminés est composé de systèmes d’équations linéaires, par exemple le no 39, qui se réécrit:

Cet intérêt porté à l’analyse indéterminée, qui a abouti à la contribution d’Ab K mil, a suscité un autre événement: la traduction des Arithmétiques de Diophante.

À la différence de Diophante, al-Karaj 稜 ne se donne pas de listes ordonnées des problèmes et de leurs solutions, mais il organise son exposé dans Al-Bad 稜‘ autour du nombre des termes dont se compose l’expression algébrique et de la différence entre leurs puissances. Il considère par exemple dans les paragraphes successifs:

Ce principe d’organisation sera d’ailleurs emprunté par ses successeurs. Il est donc clair qu’al-Karaj 稜 avait pour but de donner un exposé systématique. En outre, il mène plus loin la tâche amorcée par Ab K mil, qui consiste à dégager autant que possible les méthodes pour chaque classe de problèmes. Dans son livre Al-Fakhr 稜 , al-Karaj 稜 rappelle seulement les principes de cette analyse, indiquant qu’elle porte notamment sur l’équation:

où le trinôme en x n’est pas un carré, pour enfin passer aux différentes classes de problèmes, dont la plupart sont indéterminés.

Al-Karaj 稜 étudie bien d’autres problèmes, notamment la double égalité. Signalons simplement le problème:

qui définit une courbe de genre 1 dans A3.

Les successeurs d’al-Karaj 稜 n’ont pas seulement commenté son œuvre, mais ont tenté d’avancer sur le chemin par lui tracé: ainsi dans son Al-B hir , al-Samaw’al commente Al-Bad 稜‘ , et étudie des équations de la forme y 3 = ax + b , et considère ensuite l’équation y 3 = ax 2 + bx .

Il n’est pas question de poursuivre ici les travaux des successeurs d’al-Karaj 稜 sur l’analyse diophantienne rationnelle, mais seulement de noter que désormais celle-ci fera partie de tout traité d’algèbre de quelque importance. Ainsi, à la première moitié du XIIe siècle, al-Zanj n 稜 emprunte la plupart des problèmes d’al-Karaj 稜 et des quatre premiers livres de la version arabe de Diophante; Ibn al-Khaww m se pose certaines équations diophantiennes, dont d’équation de Fermat pour n = 3 (x 3 + y 3 = z 3) ainsi que Kam l al-D 稜n al-F ris 稜, dans son grand commentaire de l’algèbre de ce dernier. Cet intérêt et ces travaux sur l’analyse indéterminée se poursuivent sans relâche jusqu’au XVIIe siècle avec al-Yazd 稜 et, contrairement à ce qu’affirment les historiens de ce chapitre, n’expireront pas avec al-Karaj 稜.

La traduction des Arithmétiques de Diophante ne fut pas seulement essentielle au développement de l’analyse diophantienne rationnelle comme chapitre de l’algèbre, mais contribua également au développement de l’analyse diophantienne entière comme chapitre non pas de l’algèbre, mais de la théorie des nombres. Au Xe siècle, en effet, on assiste pour la première fois à la constitution de ce chapitre, grâce à l’algèbre sans doute, mais aussi contre elle. On a en effet abordé l’étude des problèmes diophantiens en exigeant, d’une part, d’obtenir des solutions entières et, d’autre part, de procéder par démonstrations du type de celle d’Euclide dans les livres arithmétiques des Éléments . C’est cette combinaison explicite pour la première fois dans l’histoire – du domaine numérique restreint aux entiers positifs interprétés comme segments de droite, des techniques algébriques, et de l’exigence de démontrer dans le pur style euclidien – qui a permis le commencement de cette nouvelle analyse diophantienne. La traduction des Arithmétiques de Diophante a fourni à ces mathématiciens, on le comprendra, moins des méthodes que certains problèmes de théorie des nombres qui s’y trouvaient formulés, qu’ils n’hésitèrent pas à systématiser et à examiner pour eux-mêmes, contrairement à ce que l’on peut voir chez Diophante. Tels sont par exemple les problèmes de représentation d’un nombre comme somme de carrés, les nombres congruents, etc. En bref, on rencontre ici le commencement de la nouvelle analyse diophantienne au sens où on la retrouvera développée plus tard chez Bachet de Méziriac et Fermat.

Ainsi, dans un texte anonyme du Xe siècle, après avoir introduit les concepts de base pour l’étude des triangles pythagoriciens, l’auteur s’interroge sur les entiers qui peuvent être les hypoténuses de ces triangles, c’est-à-dire les entiers que l’on peut représenter comme somme de deux carrés. Il énonce en particulier que tout élément de la suite des triplets pythagoriciens primitifs est tel que l’hypoténuse est de l’une ou l’autre forme: 5 (mod 12) ou 1 (mod 12). Il note cependant, comme al-Kh zin à sa suite, que certains nombres de cette suite – 49 et 77, par exemple – ne sont pas les hypoténuses de tels triangles. Ce même auteur savait également que certains nombres de la forme 1 (mod 4) ne peuvent être hypoténuses de triangles rectangles primitifs.

Al-Kh zin étudie ensuite plusieurs problèmes de triangles rectangles numériques, ainsi que les problèmes des nombres congruents, et donne le théorème suivant.

Soit a un entier naturel donné, les conditions suivantes sont équivalentes:

I. Le système () admet une solution.

II. Il existe un couple d’entiers (m , n ) tels que:

dans ces conditions, a est de la forme 2 uv (u 2v 2).

C’est dans cette tradition que l’on a également engagé l’étude de la représentation d’un entier comme somme de carrés. Ainsi, al-Kh zin consacre plusieurs propositions de son mémoire à cette étude. Ce sont également ces mathématiciens qui, les premiers, ont posé la question des problèmes impossibles, tels que le premier cas du théorème de Fermat. On savait en effet depuis longtemps qu’al-Khunjand 稜 a tenté de démontrer que «la somme de deux nombres cubiques n’est pas un cube». D’après al-Kh zin, la démonstration d’al-Khujand 稜 est défectueuse. Un certain Ab Ja‘far tente aussi de démontrer la même proposition.

La démonstration d’Ab Ja‘far est également défectueuse. Même s’il a fallu attendre Euler pour que cette démonstration soit établie, ce problème n’a cessé, malgré tout, de préoccuper les mathématiciens arabes, qui, plus tard, ont énoncé l’impossibilité du cas x 4 + y 4 = z 4.

La recherche sur l’analyse diophantienne entière et notamment sur les triangles rectangles numériques ne s’est pas arrêtée avec ses initiateurs de la première moitié du Xe siècle. Bien au contraire, leurs successeurs la reprennent, et dans le même esprit, au cours de la seconde moitié du même siècle et au début du siècle suivant, comme l’attestent les exemples d’Ab al-J d ibn al-Layth, d’al-Sizj 稜 et d’Ibn al-Haytham. D’autres, plus tardifs, poursuivaient d’une manière ou d’une autre cette recherche, comme Kam l al-D 稜n ibn Y nus.

La théorie classique des nombres

La contribution des mathématiciens de l’époque à la théorie des nombres ne se borna pas à l’analyse diophantienne entière. Deux autres courants de recherche, partant de deux points distincts, ont abouti à l’extension et au renouvellement de la théorie hellénistique des nombres. Le premier courant avait pour source, mais aussi pour modèle, les trois livres arithmétiques des Éléments d’Euclide, tandis que le second se situait dans la lignée de l’arithmétique néo-pythagoricienne, ainsi qu’elle apparaît dans l’Introduction arithmétique de Nicomaque de Gérase. C’est dans les livres d’Euclide que l’on trouve une théorie de la parité et une théorie des propriétés multiplicatives des entiers: divisibilité, nombres premiers, etc. Pour Euclide, un entier est cependant représenté par un segment de droite, représentation essentielle à la démonstration des propositions. Si les néo-pythagoriciens partageaient cette conception des entiers et s’attachaient principalement à l’étude des mêmes propriétés ou des propriétés dérivées de celles-ci, il reste que, par leurs méthodes et par leurs buts, ils se distinguent d’Euclide. Alors que celui-ci procédait par des démonstrations, ceux-là disposaient, pour seul moyen, de l’induction. En outre, pour Euclide, l’arithmétique n’avait pas d’autre but en dehors d’elle, alors que pour Nicomaque elle avait des fins philosophiques, et même psychologiques. Cette différence de méthode a été clairement perçue par des mathématiciens arabes comme Ibn al-Haytham. Pour les mathématiciens de l’époque, il s’agissait donc bien d’une différence entre les méthodes de démonstration, et non entre les objets de l’arithmétique. On comprend dès lors que, en dépit d’une préférence marquée pour la méthode euclidienne, il arrivait aux mathématiciens, et même à ceux de l’importance d’Ibn al-Haytham, de procéder dans certains cas par induction, en fonction du problème posé; c’est ainsi qu’Ibn al-Haytham discute du «théorème chinois» et du théorème de Wilson. Par ailleurs, si les mathématiciens de premier ordre, et certains philosophes comme Avicenne, négligent les buts philosophiques et psychologiques assignés par Nicomaque à l’arithmétique, d’autres mathématiciens de rang inférieur, des philosophes, des médecins et des encyclopédistes se sont intéressés à cette arithmétique. L’histoire de celle-ci se fond donc dans celle de la culture d’un lettré de la société islamique durant des siècles et déborde amplement le cadre de cet article.

Or la recherche sur la théorie des nombres au sens euclidien et pythagoricien a commencé tôt, avant la fin du IXe siècle. Elle fut contemporaine de la traduction du livre de Nicomaque par Th bit ibn Qurra et de la révision de la traduction des Éléments d’Euclide par ce dernier. C’est en effet Th bit ibn Qurra qui a engagé cette recherche en théorie des nombres, en élaborant la première théorie des nombres amiables. Ce fait, connu des historiens depuis le siècle précédent grâce aux travaux de F. Woepcke, n’a reçu son véritable sens que très récemment, lorsque nous avons établi l’existence de toute une tradition, inaugurée par Th bit ibn Qurra dans le plus pur style euclidien, pour aboutir quelques siècles plus tard à al-F ris 稜, grâce à l’application de l’algèbre à l’étude des premières fonctions arithmétiques élémentaires; cette tradition est jalonnée par bien des noms: al-Kar b 稜s 稜, al-An レ k 稜, al-Qubay ル 稜, Ab al-Waf ’ al-B zj n 稜, al-Baghd d 稜, Ibn al-Haytham, Ibn H d, al-Karaj 稜, pour n’en citer que quelques-uns. On ne peut évidemment prétendre, dans les quelques pages consacrées à cette théorie, détailler cette description. On tentera donc simplement de dessiner ce mouvement que nous venons d’évoquer.

À la fin du livre IX des Éléments , Euclide donne une théorie des nombres parfaits et démontre que le nombre n = 2p (2p + 1 漣 1) est parfait – c’est-à-dire égal à la somme de ses diviseurs propres – si (2p + 1 漣 1) est un nombre premier.

Th bit ibn Qurra décide donc de construire cette théorie. Il énonce et démontre, dans le pur style euclidien, le théorème le plus important jusqu’ici pour ces nombres, et qui porte aujourd’hui son nom. Notons 0(n ) la somme des parties aliquotes de l’entier n , et (n ) = 0(n ) + n la somme des diviseurs de n , et rappelons que deux entiers a et b sont dits amiables si 0(a ) = b et 0(b ) = a ; le théorème d’Ibn Qurra s’énonce ainsi: «Pour n 礪 1, posons pn = 3 . 2n 漣 1, qn = 9 . 22n 漣1 漣 1; si pn 漣1, pn et qn sont premier, alors a = 2n pn 漣1pn et b = 2n qn sont amiables.»

C’est avec les algébristes notamment que l’on entreprend le calcul d’autres couples de nombres amiables que celui qui est donné par Ibn Qurra, c’est-à-dire (220, 284). Ainsi, on trouve chez al-F ris 稜 à l’est, dans le milieu d’Ibn al-Bann ’, à l’ouest, et chez al-Tan kh 稜 et bien d’autres mathématiciens du XIIIe siècle, le couple (17 296, 18 416), connu sous le nom de Fermat. Al-Yazd 稜 calcule plus tard le couple dit de Descartes (9 363 584, 9 437 056).

Le célèbre physicien et mathématicien Kam l al-D 稜n al-F ris 稜 a composé un mémoire, dans lequel il entend délibérément démontrer le théorème d’Ibn Qurra d’une manière algébrique. Cet acte l’a obligé à concevoir les premières fonctions arithmétiques et à toute une préparation qui l’a amené à énoncer pour la première fois le théorème fondamental de l’arithmétique. Al-F ris 稜 développe également les moyens combinatoires nécessaires à cette étude et, ainsi, toute une recherche sur les nombres figurés. En bref, il s’agit cette fois de la théorie élémentaire des nombres, telle qu’on la retrouve ensuite au XVIIe siècle.

Al-F ris 稜 examine les procédés de la factorisation et le calcul des parties aliquotes en fonction du nombre des facteurs premiers. Le résultat le plus important sur ce plan est sans aucun doute l’identification entre les combinaisons et les nombres figurés. Ainsi, tout est désormais en place pour l’étude de fonctions arithmétiques. Un premier groupe de propositions concerne (n ). Même si al-F ris 稜 ne traite en fait que 0(n ), on constate qu’il reconnaisssait comme fonction multiplicative. Parmi les propositions de ce groupe, on trouve notamment:

(1) Si n = p 1p 2, avec (p 1, p 2) = 1, alors:

ce qui montre qu’il connaissait l’expression:

(2) Si n = p 1p 2, avec p 2 un nombre premier et (p 1, p 2) = 1, alors:

(3) Si n = pr , p un nombre entier, alors:

Ces trois propositions ont été jusqu’à présent attribuées à Descartes.

(4) Enfin il essaie, mais sans y réussir, comme on peut aisément le comprendre, d’établir une formule effective pour le cas où n = p 1p 2, avec (p 1, p 2) 1.

Un deuxième groupe comprend plusieurs propositions portant sur la proposition 精(n ): nombre des diviseurs de n .

(5) Si n = p 1p 2, ..., pr , avec p 1, ..., pr facteurs premiers distincts, alors le nombre des parties de n noté 0(n ) est égal à:

proposition attribuée à l’abbé Deidier.

alors:

proposition attribuée à John Keresy et à Montmort.

Al-F ris 稜 démontre enfin le théorème de Th bit ibn Qurra. Il lui faut en effet simplement montrer que:

Si, avec les travaux sur les nombres amiables, les mathématiciens cherchaient également à caractériser cette classe d’entiers, en étudiant les nombres parfaits, ils poursuivaient le même but. Nous savons par le mathématicien al-Kh zin qu’au Xe siècle on s’interrogeait sur l’existence des nombres parfaits impairs – problème toujours non résolu (al-Kh zin écrit: «Cette question s’est posée à ceux qui s’interrogeaient [sur les nombres abondants, déficients et parfaits] s’il existe un nombre parfait parmi les nombres impairs ou non»). À la fin du même siècle et au début du suivant, al-Baghd d 稜 obtient quelques résultats concernant ces mêmes nombres. Ainsi il donne: «Si 0(2n ) = 2n 漣 1 est premier, alors 1 + 2 + ... + (2n 漣 1) est un nombre parfait», règle attribuée au mathématicien du XVIIe siècle J. Broscius. Le contemporain d’al-Baghd d 稜, Ibn al-Haytham, tente le premier de caractériser cette classe des nombres parfaits pairs, en essayant de démontrer le théorème suivant: «Soit n un nombre pair, les conditions suivantes sont équivalentes: I. Si n 2p (2p +1 漣 1), avec (2p +1 漣 1) premier, alors 0(n ) = n . II. Si 0(n ) = n , alors n = 2p (2p +1 漣 1), avec 2p (2p +1 漣 1) premier.» On sait que I n’est autre que IX-36 des Éléments d’Euclide, Ibn al-Haytham tente donc de démontrer en plus que tout nombre parfait pair est de la forme euclidienne, théorème qui sera définitivement établi par Euler. Notons qu’Ibn al-Haytham, pas davantage que Th bit ibn Qurra pour les nombres amiables, ne tente, pour les nombres parfaits, de calculer d’autres nombres que ceux qui sont connus et transmis par la tradition. Cette tâche calculatoire sera celle de mathématiciens d’une classe inférieure, plus proches de la tradition de Nicomaque de Gérase, comme Ibn Fallus (mort en 1240) et Ibn al-Malik al-Dimashq 稜, entre bien d’autres. Leurs écrits nous apprennent que les mathématiciens connaissaient à l’époque les sept premiers nombres parfaits.

L’un des axes de la recherche en théorie des nombres a donc été la caractérisation des nombres: amiables, équivalents, parfaits. On ne doit pas s’étonner dans ces conditions que les mathématiciens reviennent aux nombres premiers pour procéder à une tâche analogue. C’est précisément ce qu’a fait Ibn al-Haytham au cours de sa solution du problème dit du «reste chinois». Il veut en effet résoudre le système de congruences linéaires x 令 1 (mod mi ), x 令 0 (mod mp ), avec p un nombre premier et 1 麗 mip – 1. Au cours de cette étude, il donne un critère pour déterminer les nombres premiers, ou le théorème dit de Wilson: «Si n 礪 1, les deux conditions suivantes sont équivalentes: I. n est premier; II. (n – 1)! 令 – 1 (mod n ).»

L’étude de ce système de congruences se retrouve en partie chez les successeurs d’Ibn al-Haytham au XIIe siècle, al-Khil レ 稜 en arabe et Fibonacci en latin, par exemple.

On pourrait, à ces domaines de la théorie des nombres dans les mathématiques arabes, ajouter une multitude de résultats qui s’insèrent dans la lignée de l’arithmétique de Nicomaque, développés par les arithméticiens ou les algébristes, ou simplement pour les besoins d’autres pratiques telles que les carrés magiques ou des jeux arithmétiques. On rappelle pour mémoire les sommes des puissances des entiers naturels, les nombres polygonaux, des problèmes de congruences linéaires, etc. Il s’agit là d’une somme considérable de résultats, qui étendent ou démontrent ce que l’on savait auparavant, mais qu’il est impossible de rapporter ici.

Déterminations infinitésimales

L’étude des comportements asymptotiques et des objets infinitésimaux représente une part substantielle de la recherche mathématique en arabe. À partir du IXe siècle, les mathématiciens ont engagé la recherche en trois principaux domaines: le calcul des aires et des volumes infinitésimaux; la quadrature des lunules, les aires et les volumes extrema lors de l’examen du problème isopérimétrique. Au début du IXe siècle, en effet, al-Hajj j ibn Ma レar avait traduit les Éléments d’Euclide. C’est dans le livre X de cet ouvrage que les mathématiciens ont connu la célèbre proposition fondamentale pour ce calcul, qui peut s’écrire: «Soient a et b deux grandeurs données, a 礪 0 et b 礪 0, telles que ab ; et soit (bn )n 閭 1 une suite telle que, pour tout n, on ait:

alors il existe n 0 tel que, pour nn 0, on ait:

On a également traduit en arabe deux ouvrages d’Archimède: La Mesure du cercle ( 狀羽凞礼羽 識﨎精福兀靖晴﨟), et De la sphère et du cylindre ( 刺﨎福晴 靖﨏見晴福見﨟 見晴 羽凞晴益嗀福礼羽). La traduction du premier livre était connue d’al-Kind 稜 et de Ban M s , alors que celle du second avait été révisée par le collaborateur de ces derniers: Th bit ibn Qurra. Quant aux autres livres d’Archimède traitant de la spirale, des conoïdes et des sphéroïdes, de la quadrature de la parabole et de la méthode, rien n’indique qu’ils aient été connus des mathématiciens arabes. Cette remarque est d’autant plus importante qu’Archimède a introduit dans Les Conoïdes et les sphéroïdes la notion de sommes intégrales inférieures et supérieures, qui complétait alors la méthode d’exhaustion.

La traduction des deux traités d’Archimède ainsi que celle du commentaire d’Eutocius (ces textes furent traduits deux fois au cours du IXe siècle) répondait manifestement à la demande d’al-Kind 稜, de Ban M s et de leur école. Ban M s étaient trois frères; Mu ムammad, A ムmad et al- ネasan, qui se sont occupés aussi bien de géométrie – et notamment des sections coniques – que de mécanique, de musique et d’astronomie. Ces trois frères ont composé précisément, à Bagdad, dans la première moitié du IXe siècle, le premier écrit en arabe en ce domaine. Leur traité intitulé Sur la mesure des figures planes et sphériques n’a pas seulement lancé la recherche en arabe sur la détermination des aires et des volumes, mais demeura le texte fondamental pour la science latine, après sa traduction au XIIe siècle par Gérard de Crémone. Ce traité se partage en fait en trois parties. La première concerne la mesure du cercle, la deuxième le volume de la sphère, alors que la troisième traite des problèmes classiques des deux moyennes et de la trisection de l’angle.

Ban M s montrent que l’aire du cercle est égale à S = r . c /2 (r le rayon, et c la circonférence). Mais, dans cette démonstration, ils ne comparent pas S à SS , et ensuite à SS , mais ils supposent que S = r . c /2 et comparent c à un cc et à un cc , se contentant ainsi de comparer des longueurs. Ban M s expliquent alors la méthode d’Archimède pour le calcul approché de 神, et en dégagent la portée générale. Ils montrent en effet que cette méthode revient à construire deux suites (an )n 閭 1 et (bn )n 閭 1 adjacentes – anbn pour tout n – et qui convergent vers la même limite 2 r 神. Il s’agit de deux suites que l’on peut réécrire:

Ils remarquent qu’«il est possible à l’aide de cette méthode d’atteindre n’importe quel degré de précision». Avec une méthode analogue à celle qui est appliquée dans le cas de l’aire du cercle, ils déterminent l’aire de la surface latérale de la sphère.

Les contemporains et les successeurs de Ban M s ont poursuivi très activement la recherche en ce domaine. Ainsi, al-M h n 稜 n’a pas seulement commenté le livre d’Archimède De la sphère et du cylindre , mais s’est attaqué à la détermination du segment de la parabole. Ce texte d’al-M h n 稜 ne nous est pas parvenu.

Le collaborateur de Ban M s , Th bit ibn Qurra, a contribué massivement à ce chapitre. Il a rédigé successivement trois traités: l’un consacré à l’aire d’un segment de parabole, le deuxième au volume du paraboloïde de révolution et le troisième sur les sections du cylindre et son aire latérale. Dans le premier traité, pour déterminer l’aire d’un segment de parabole, Th bit ibn Qurra, qui ignorait l’étude d’Archimède sur ce sujet, commence par démontrer vingt et un lemmes, dont quinze sont arithmétiques. L’examen de ces lemmes montre que Th bit ibn Qurra connaissait parfaitement et rigoureusement le concept de la borne supérieure d’un ensemble de nombres réels carrés et l’unicité de cette borne supérieure. En effet, pour caractériser la borne supérieure, il utilise la propriété suivante: «Soient une portion ABC de parabole, AD son diamètre correspondant à BC (cf. figure). Pour tout 﨎 礪 0 donné, on peut lui faire correspondre une partition A, G1, G2,..., Gn -1 , D, du diamètre AD, telle que:

c’est-à-dire, dans un autre langage, que l’aire BAC est la borne supérieure des aires de ces polygones.

Th bit ibn Qurra démontre d’une manière aussi rigoureuse que 2/3 de l’aire BHMC est la borne supérieure des aires des polygones déjà mentionnés. Il parvient enfin à son théorème qu’il énonce ainsi: «La parabole est infinie mais l’aire de l’une quelconque de ses portions est égale aux deux tiers du parallélogramme de même base et de même hauteur que la portion.» Notons enfin que la quadrature d’Ibn Qurra, étant donné la définition de la parabole, est équivalente au calcul de l’intégrale:

La contribution d’Ibn Qurra à ce chapitre ne s’arrête pas là. Il entreprend la détermination du volume d’un paraboloïde de révolution. Il entreprend enfin dans un traité sur Les Sections du cylindre et leurs surfaces l’étude de différentes espèces des sections planes d’un cylindre droit et d’un cylindre oblique, détermine ensuite l’aire de l’ellipse et l’aire de segments elliptiques, discute des sections maximales et minimales du cylindre et de leurs axes, et détermine enfin l’aire d’une partie de la surface délimitée par deux sections planes. Il est impossible de reprendre ici les résultats et les preuves de ce traité riche et profond, comme la démonstration par laquelle Th bit ibn Qurra montre que «la surface de l’ellipse est égale à la surface du cercle dont le carré du demi-diamètre est égal au produit de l’un des deux axes de cette ellipse par l’autre», c’est-à-dire 神 ab ; avec a et b les axes de l’ellipse.

La contribution d’Ibn Qurra sera activement poursuivie par ses successeurs, tel son petit-fils Ibr h 稜m ibn Sin n. Ce mathématicien de génie n’a vécu que trente-huit ans, et n’a pas aimé, selon ses propres dires, qu’«al-M h n 稜 ait une étude plus avancée que celle de [son] grand-père, sans que [l’un des siens] aille plus loin que lui». Il veut donc donner une démonstration non seulement plus courte que celle de son grand-père, qui avait besoin de vingt lemmes, mais aussi que celle d’al-M h n 稜. La proposition sur laquelle est fondée la démonstration d’Ibr h 稜m ibn Sin n, et qu’il s’est soucié de démontrer auparavant, est: la transformation affine laisse invariante la proportionnalité des aires.

Au Xe siècle, le mathématicien al-‘Al ’ ibn Sahl a repris la quadrature de la parabole, mais son traité reste malheureusement encore introuvable. Son contemporain al-Q h 稜, quant à lui, en réexaminant la détermination du volume du paraboloïde de révolution, redécouvre la méthode d’Archimède.

Successeur d’Ibn Sahl et d’al-Q h 稜, le célèbre mathématicien et physicien Ibn al-Haytham (mort après 1040) reprend la démonstration du volume du paraboloïde de révolution, ainsi que celle du volume engendré par la rotation d’une parabole autour de son ordonnée. Considérons rapidement cette seconde espèce, plus difficile que la première. Pour parvenir à la détermination de ce volume, Ibn al-Haytham commence par démontrer certains lemmes arithmétiques: les sommes des puissances des n entiers successifs, pour établir une double inégalité, fondamentale pour son étude. À cette occasion, il obtient des résultats qui font date dans l’histoire de l’arithmétique, notamment la somme d’une puissance entière quelconque de n premiers entiers successifs:

il établit ensuite l’inégalité suivante:

Soit maintenant le paraboloïde engendré par la rotation de la portion de la parabole ABC d’équation x = ky 2 autour de l’ordonnée BC. Soit:

avec 2m = n une subdivision de l’intervalle [0, b ] de pas

Soient Mi les points de la parabole d’ordonnées yi et d’abscisses xi respectivement. Posons:

il vient:

On a:

et:

mais, d’après l’inégalité (), on obtient:

V = 神k 2 b 4. b est le volume du cylindre circonscrit. Pour user d’un langage différent de celui d’Ibn al-Haytham. Comme la fonction g (y ) = ky 2 est continue sur [0, b ], le calcul d’Ibn al-Haytham sera équivalent à: le volume du paraboloïde:

d’où:

d’où:

d’où:

V le volume du cylindre circonscrit.

Ibn al-Haytham ne s’arrête pas là: il se tourne à nouveau vers les petits solides d’encadrement, afin d’étudier leur comportement lorsqu’on augmente indéfiniment les points de la subdivision. Nous nous trouvons cette fois en présence d’une pensée franchement infinitésimaliste et, en quelque sorte, fonctionnelle, dans la mesure où l’enjeu du problème est explicitement le comportement asymptotique d’êtres mathématiques dont on cherche à déterminer la variation.

Ibn al-Haytham applique la même méthode à la détermination du volume de la sphère. Là, également, on notera qu’il a donné une version arithmétiquement infléchie de la méthode d’exhaustion. En effet, dans sa recherche, le rôle du calcul arithmétique explicite semble bien plus important que dans les travaux de ses prédécesseurs.

Dans cette étude, on peut observer le développement des moyens et des techniques de ce chapitre dans les mathématiques arabes. On a vu qu’Ibn al-Haytham, dans ses recherches sur le paraboloïde, a obtenu des résultats que les historiens attribuent à Kepler et Cavalieri, par exemple. Ce chapitre s’arrête cependant là, et c’est très vraisemblablement faute d’un symbolisme efficace.

La quadrature des lunules

Parmi les problèmes de détermination des aires des surfaces courbes, la quadrature exacte des lunules – surfaces limitées par deux arcs de cercles – est l’un des plus anciens.

La démarche d’Ibn al-Haytham revient à étudier les lunules limitées par des arcs quelconques, en cherchant des équivalences de surfaces. Il introduit des cercles équivalant en général à des secteurs du cercle donnés dans le problème et exprimés par une fraction de ce dernier. Il justifie l’existence des cercles introduits, qu’il doit ajouter à ou retrancher de surfaces polygonales pour obtenir une surface équivalente à celle d’une lunule ou de la somme de deux lunules.

Ibn al-Haytham reprend à la base le problème de la quadrature des lunules, le déplace sur le plan de la trigonométrie et tente de déduire les différents cas comme autant de propriétés d’une fonction trigonométrique qui sera reconnue plus précisément bien plus tard par Euler.

Dès le début de ce traité, Ibn al-Haytham reconnaît explicitement que le calcul des aires des lunules fait intervenir des sommes et des différences d’aires des secteurs du cercle, et des triangles dont la comparaison exige à son tour la comparaison des rapports d’angles et des rapports de segments. C’est pour cette raison qu’il commence par établir quatre lemmes relatifs au triangle ABC, rectangle en B dans le premier lemme, et à angle obtus dans les trois autres, qui montrent désormais que le point essentiel de l’étude est ramené à l’étude de la fonction:

On peut ainsi réécrire ces lemmes:

I. Si:

alors:

il est évident que si:

alors:

II. Soit 神 漣 B = B 1, si:

alors:

III. Si:

alors:

IV. Ici Ibn al-Haytham veut étudier le cas A 礪 神/4; mais l’étude est incomplète. Il montre que pour A donné, on peut trouver B 0 tel que:

Cette étude incomplète semble avoir occulté à Ibn al-Haytham l’égalité sin2A /A = sin2B 1/B 1. On remarquera que ces lemmes, parce qu’ils lient le problème de la quadrature des lunules à la trigonométrie, en changent la position, et permettent d’unifier les cas particuliers. Mais l’incomplétude déjà signalée a masqué la possibilité d’existence de lunules quadrables.

Ibn al-Haytham poursuit sa recherche en démontrant des propositions importantes qu’il serait trop long d’exposer. Il contribue également, à la suite d’al-Kh zin, à l’étude des problèmes isopérimétriques et isépiphanes, qui le mène à poser des problèmes importants concernant l’angle solide.

Nous venons d’assister à l’émergence de nouvelles recherches en géométrie, extensions de l’héritage hellénistique, ou nouveaux chapitres que les Alexandrins n’avaient jamais conçus: la géométrie algébrique au sens d’al-Khayy m et de Sharaf al-D 稜n al- ヘ s 稜. D’autres chapitres géométriques, tout aussi importants, ont vu le jour, suscités par l’application de la géométrie aux autres disciplines mathématiques ou à d’autres domaines tels que l’astronomie et l’optique. Les mathématiciens ont ainsi développé l’étude des transformations géométriques ponctuelles, notamment au cours de leurs recherches sur les déterminations infinitésimales et de leurs travaux sur les problèmes isopérimétriques et isépiphanes. L’analyse des propriétés optiques des coniques a été développée grâce aux recherches catoptriques et dioptriques. L’étude des projections géométriques – coniques et cylindriques – a été provoquée par les demandes de l’astronomie. À cela on peut ajouter toute une tradition de recherches sur la théorie des parallèles, sur les constructions géométriques, sur la géométrie pratique. On voit également, pour la première fois dans l’histoire, la trigonométrie se constituer comme branche de la géométrie. On comprend que, dans un tel foisonnement, les philosophes et les mathématiciens se soient intéressés à la philosophie des mathématiques.

Autant de chapitres que, faute d’espace, nous ne pouvons que citer ici, mais dont les titres, joints à ce que nous avons déjà examiné, permettent de saisir les ramifications des mathématiques et de les situer dans l’histoire de cette discipline.

2. L’optique

Très tôt, les savants arabes ont été en possession de la partie principale des travaux helléniques sur l’optique: optique, catoptrique, dioptrique, les trois branches de cette discipline, à l’époque alexandrine, ont rapidement attiré l’attention des traducteurs et des savants. Outre les textes des médecins sur l’anatomie de l’œil et sur les doctrines physiologiques de la vision, ceux des philosophes de l’Antiquité sur la lumière et la vision, les savants arabes détiennent les traductions de l’optique d’Euclide par Is ム q ben ネunayn (m. en 910), de l’optique de Ptolémée à l’exception du premier livre, de la catoptrique de Héron d’Alexandrie. Plus précisément encore, au IXe siècle déjà, ‘A r al- ネ sib rappelle dans un livre sur les miroirs ardents l’œuvre d’Anthemius de Tralle sur le même sujet.

Le même intérêt pour l’optique se retrouve par ailleurs chez le premier philosophe arabe, al-Kind 稜 (m. en 873 environ), qui composa, en plus de son traité sur les miroirs ardents, plusieurs ouvrages dont le De aspectibus , connu par la traduction latine de Gérard de Crémone. En matière d’optique, al-Kind 稜 ne répète pas les œuvres des devanciers sous la forme d’un simple commentaire: sans en modifier la perspective générale, il en reprend les démonstrations pour les corriger et les idées pour les préciser. C’est à la suite de ces travaux et de tant d’autres qu’apparaît, à la fin du Xe et au début du XIe siècle, l’œuvre de celui qui fut considéré comme le Ptolémée des Arabes: Ibn al-Haytham, ou Alhazen comme l’appelaient ses traducteurs latins. Ceux-ci ont traduit le livre qu’on n’a jamais cessé de consulter en la matière depuis le Moyen Âge jusqu’au XVIIe siècle: l’Opticae thesaurus Alhazeni Arabis .

Alhazen, mathématicien et physicien, né à Ba ルra en 965 environ, vécut au Caire où il mourut en 1039. Avec lui on assiste à la première réforme de l’optique, réforme qui peut être caractérisée par l’introduction de nouvelles normes mathématiques et expérimentales à l’intérieur d’une problématique traditionnelle où se trouvent unies lumière et vision. Jusqu’alors, la lumière n’était essentiellement que l’instrument de l’œil et, réciproquement, voir c’était éclairer. Pour construire une théorie de la lumière, il fallait commencer par une théorie de la vision, mais pour établir une théorie de la vision, il était nécessaire de revenir d’abord à la propagation lumineuse, si bien que chaque tâche renvoyait immédiatement à l’autre, chaque théorie empruntant la langue de l’autre. L’optique d’Aristote, comme celles d’Euclide et de Ptolémée, ne séparait point vision et éclairement lumineux; il s’imposait à Alhazen de les mieux distinguer et d’aboutir ainsi à une nouvelle représentation fondée sur une analogie entre le mouvement du choc – le rebondissement d’une balle projetée contre un obstacle – et la propagation lumineuse, représentation qui persistera chez Kepler et chez Descartes.

Ainsi, après avoir critiqué les anciennes doctrines du rayon visuel et éliminé l’hypothèse d’un cône de rayons rectilignes émis par l’œil pour la remplacer par le principe adéquat, Alhazen affirme l’existence indépendante et matérielle de la lumière; il pose sous une forme définitive – dans les limites de l’optique géométrique – le principe de la propagation rectiligne, qu’il nomme «propagation sphérique en toute direction», définit correctement le concept de rayon et l’indépendance des rayons d’un faisceau. Il établit sous sa forme générale la loi de la réflexion, en montrant, à la différence d’Euclide et de Ptolémée, que le rayon incident et le rayon réfléchi sont dans un même plan perpendiculaire au miroir; bien plus que la surface atteinte par la lumière, c’est le plan formé par le rayon d’incidence, le rayon réfléchi et la normale à la surface au point de rencontre qui est l’élément important, de sorte que l’on peut appliquer la loi aux courbes en général: les rayons réfléchis sont dans le plan d’incidence, et les angles d’incidence et de réflexion sont égaux. Il vérifie ensuite cette loi par la construction d’un dispositif expérimental complexe et s’efforce enfin de déterminer le plan tangent pour les miroirs sphériques, cylindriques, coniques aigus, coniques obtus, et les positions respectives de l’image dans chaque cas.

Alhazen s’approche par là dans une certaine mesure de la loi de la réfraction. Il démontre, en effet, que le rayon incident, la normale au point de réfraction et le rayon réfracté sont dans un même plan; et il y ajoute certaines règles importantes de la réfraction. Sans pouvoir détailler ici les différentes recherches et les résultats d’Alhazen, on rappellera qu’il fut le premier à utiliser la chambre noire dans ses expériences. Son nom est, par ailleurs, associé à un problème qui est connu en mathématiques sous l’expression de «problème d’Alhazen» et dont la formulation est la suivante: en quel point d’un miroir concave circulaire doit tomber la lumière venant d’un point donné pour qu’elle se réfléchisse en un autre point également donné? La solution de ce problème revient à celle d’une équation du quatrième degré.

Le principal continuateur d’Alhazen parmi les savants arabes est le Persan Kam l al-D 稜n al-F ris 稜 (m. en 1320). Malgré de nombreux écrits se rapportant aux différentes branches des mathématiques – arithmétique et géométrie, notamment –, sa contribution essentielle intéresse l’optique. Son ouvrage se présente comme une révision de l’optique d’Alhazen; il n’hésite pas à récuser certaines théories de ce dernier, comme celle de l’analogie entre le mouvement du choc et la propagation lumineuse, pièce maîtresse de l’explication de la réflexion et de la réfraction; il en développe d’autres, comme l’exemple de la camera obscura , la réfraction dans deux sphères transparentes, la tabulation numérique de la réfraction air-verre; parfois il écarte purement et simplement la doctrine d’Alhazen pour la remplacer par la sienne propre, comme dans sa théorie de l’arc-en-ciel. En effet, al-F ris 稜 s’appuie sur les résultats d’Alhazen pour donner de ce phénomène une explication meilleure que celle de son devancier: il montre que l’arc-en-ciel apparaît à un observateur bien placé lorsque les rayons du soleil se réfractent dans les gouttelettes d’eau provenant de la condensation des nuages; il se forme alors deux arcs de cercle: le premier, intérieur, est produit par deux réfractions et une réflexion entre celles-ci; le second, extérieur, est constitué par deux réfractions et deux réflexions. Chaque arc est formé de bandes concentriques offrant une variété de couleurs – plus tard on dira qu’il présente toutes les couleurs du spectre –, le rouge à l’extérieur et le violet à l’intérieur pour le premier arc; la disposition est inverse pour le second, dont les couleurs sont plus pâles que celles du premier. Entre les deux arcs, il existe une région plus obscure que partout ailleurs. Une telle démonstration illustre la nouvelle méthode, à la fois mathématique et expérimentale, qui caractérise l’optique d’Alhazen et dont l’influence aura son apogée, en Europe, au cours des XVe et XVIe siècles.

3. La mécanique

Les trois domaines de la mécanique auxquels les savants arabes ont consacré la plupart de leurs études sont la dynamique, la statique et l’hydrostatique. Pour le premier, encore que tributaires de la dynamique aristotélicienne, ils ont développé, à la suite de Jean Philopon, mais sans commune mesure avec lui, la théorie de l’impetus . Récusant l’idée péripatéticienne d’une action propulsive du milieu, ils ont explicité l’idée de l’acquisition d’une énergie du moteur par le mouvement. Une doctrine détaillée sur cette acquisition dans les cas du mouvement naturel et du mouvement violent a été élaborée par Avicenne (m. en 1036), al-Ghaz l 稜 (m. en 1111), Ab ’l-Barak t al-Baghd d 稜 (m. en 1151), Averroès (m. en 1198), Fakhr al-D 稜n al-R z 稜 (m. en 1209), al- ヘ s 稜 (m. en 1274), Avempace et beaucoup d’autres. La théorie de l’impetus sera diffusée par la traduction de Michel Scot, en 1217, du traité d’astronomie d’al-Bi レr dj 稜, aussi bien que par les traductions d’Averroès.

L’élaboration de la théorie de l’impetus fut l’occasion de réexaminer les notions essentielles de la science du mouvement, telles que celles de temps, d’espèce, de force, etc., et conduisit les savants à prendre une certaine distance par rapport à la doctrine aristotélicienne. Ainsi les atomistes arabes ont-ils réhabilité le mouvement rectiligne, et conçu le mouvement circulaire comme une série de petits déplacements élémentaires.

Le premier ouvrage de mécanique, le Kit b al- ムiyal (Livre des artifices ), fut composé en 860 par trois fils de M s ben Sh kir – Mu ムammad, A ムmed et ネasan –, à la fois savants mathématiciens et mécènes éclairés. Cet ouvrage présente une centaine d’inventions qui vont des appareils pour eau chaude et eau froide, des puits à profondeur fixe ou des élévateurs de charges à toute une série de jouets automatiques, si appréciés des cours princières au Moyen Âge. Au XIIIe siècle, al-Djazar 稜, originaire de l’Irak, écrivit un important ouvrage sur la mécanique et les pendules (Kit b f 稜 ma‘rifat al- ムiyal al-handasiyya ) qui reste le meilleur traité qu’ait produit sur ce sujet le monde musulman. D’autre part, un ingénieur, Qay ルar (mort à Damas en 1251), construisit pour le prince de ネam h des roues d’irrigation (noria ) sur l’Oronte, ainsi que des fortifications. C’est lui aussi qui éleva le globe céleste actuellement au musée national de Naples.

Dans le domaine des mesures, al-Kh zin 稜, vers 1100, se référant aux travaux des Anciens (Archimède, Aristote, Euclide, Ménélas, Pappus) et surtout à ceux de B 稜r n 稜 en vue de déterminer le poids spécifique, donna dans son ouvrage Balance de la sagesse (M 稜z n al- ムikma ) une théorie détaillée de la balance; il y définissait le centre de gravité d’un corps et les conditions des différents équilibres. B 稜r n 稜 lui-même, un des plus grands savants de l’Islam, détermina expérimentalement un certain nombre de poids spécifiques à l’aide de son «instrument conique», qu’on peut regarder comme le plus ancien pycnomètre. Al-Kh zin 稜, pour les liquides, se servait d’un aréomètre analogue à celui qu’utilisaient les Alexandrins. Les mesures effectuées par ces deux savants «constituent un des plus beaux résultats obtenus par les Arabes dans le domaine de la physique expérimentale» (Mieli).

Outre la balance (m 稜z n ), les musulmans connaissaient le peson (qaris レ n ), hérité de l’Antiquité, au moyen duquel ils apprirent à mesurer le temps (poids équilibrant un sablier) et à illustrer certaines équations. De même, B 稜r n 稜 se servit de la balance pour démontrer les lois du djabr et de la muq bala .

4. L’astronomie

Les auteurs musulmans, qui rangent l’astronomie parmi les sciences mathématiques, l’appellent «science de l’aspect de l’univers» (‘ilm al-hay’a ) ou «science des sphères célestes» (‘ilm al-afl k ). Pour eux comme pour les Grecs, cette discipline a comme unique objet d’étudier les mouvements apparents des astres et d’en donner une représentation géométrique. Elle comprend ce que nous appelons l’astronomie sphérique – avec le calcul des orbites planétaires, et ses applications à la construction des éphémérides – et la théorie des instruments; tandis que l’étude des météores, des comètes, des étoiles filantes, ainsi que de ce qui relève pour nous de l’astrophysique et de la mécanique céleste élémentaire (origine des mouvements célestes, nature des sphères, lumière des astres, etc.), est rattachée à la physique et à la métaphysique.

Une section spéciale appelée «science des moments déterminés» (‘ilm al-m 稜q t ) se préoccupe de calculer les heures du jour et de la nuit et, par là, de situer les cinq prières canoniques. Ainsi, l’astronomie fut d’abord au service des prescriptions religieuses. Il convient cependant de se demander quand et comment elle devint une science chez les Arabes. Dans ses ヘabaq t al-umam , Ibn Sa‘ 稜d rapporte que «le calife al-Man ル r reçut en audience un homme originaire de l’Inde qui connaissait à fond le calcul appelé sindhind relatif aux mouvements des étoiles». C’était en 771 à Bagdad. Ibr h 稜m ben ネab 稜b al-Faz r 稜 trouva dans le Traité du sindhind , dont le titre indien original est Siddh nta , des éléments et des méthodes de calcul pour ses tables astronomiques (z 稜dj , pl. azv dj ) adaptés à l’année lunaire musulmane. À peu près vers la même époque, Ya‘q b ben ヘ riq composa un livre similaire en utilisant ce Siddh nta indien et d’autres fonds de même origine, tandis qu’Ab ’l- ネasan al-Ahw z 稜 fit connaître aux Arabes les mouvements planétaires d’après le traité AlArgiabhad . Ces ouvrages indiens, surtout le Sindhind , furent souvent imités dans le monde musulman jusqu’à la première moitié du XIe siècle.

À la fin du VIIIe siècle fut traduit en arabe l’ouvrage pahlav 稜 La Table astronomique du roi (Z 稜dj al-sh h ), qui avait été rédigé dans les dernières années des Sassanides; M sh ’ All h (Messhala), astrologue et astronome du début du IXe siècle, se servit de cette traduction pour ses calculs; vers la même époque, Mu ムammad ben M s al-Khw rizm 稜 en dégagea les équations des mouvements planétaires; Ab Ma‘shar (Albumasar, m. en 886) s’en inspira pour ses tables astronomiques. Par la suite, son influence se fit de moins en moins sentir en Orient. En Espagne par contre, il resta en usage jusqu’au milieu du XIe siècle.

Mais, bien que redécouvertes postérieurement à ces ouvrages, les sources les plus importantes en matière d’astronomie furent les traités classiques des Grecs. À la fin du VIIIe siècle et au commencement du IXe siècle, le Barmécide Ya ムy ben Kh lid, grand mécène et protecteur des savants et des lettrés, fit traduire pour la première fois en arabe le 識﨎塚見凞兀 羽益精見﨡晴﨟 猪見兀猪見精晴兀 de Ptolémée, qui, sous le nom contracté et arabisé d’Al-Midjis レ 稜 (Almageste ), connut un énorme succès dans le Moyen Âge oriental. À la suite surtout de deux nouvelles versions, plus exactes (en particulier celle de ネunayn ben Is ム q, révisée par Th bit ben Qurra), son influence supplanta celle des ouvrages de source indienne ou persane. D’autres écrits de Ptolémée vinrent enrichir ce patrimoine – la Géographie , les Tabulae manuales , les Apparitiones stellarum fixarum , les Hypotheses planetarum et le Planispherium –, ainsi que ceux d’autres auteurs grecs: les Tabulae manuales de Théon d’Alexandrie, le livre d’Aristarque sur les grandeurs et les distances du Soleil et de la Lune, l’Isagoge de Geminus, deux opuscules d’Autolycus, trois de Théodosius, le petit travail de Hypsicles sur les ascensions, enfin les tables astronomiques d’Ammonius.

À leur tour les astronomes arabes composèrent des traités similaires: introductions générales élémentaires comme les compendia de Th bit ben Qurra ou d’al-Fargh n 稜 (Alfraganus, m. en 861), traités systématiques correspondant à l’Almageste , ouvrages d’astronomie sphérique à l’usage des calculateurs et des observateurs, travaux plus spécialisés enfin (catalogues d’étoiles, manuels ayant trait aux instruments, etc.).

La science astronomique des musulmans se caractérise, d’une manière générale, par son adhésion au système géocentrique. Elle y fut portée tout d’abord par l’autorité dont jouissait Aristote «le Philosophe», puis par celle de Ptolémée lui-même et enfin, de façon paradoxale, par les exigences de l’astrologie qui, admise quasi unanimement alors comme une science véritable, se fondait sur un géocentrisme rigoureux. D’ailleurs, l’héliocentrisme n’était pas démontrable avec certitude et, comme le télescope n’existait pas à l’époque, cette théorie ne pouvait être d’aucune utilité pour l’astronomie pratique. Connaissant les mêmes corps célestes que les Grecs, les Arabes ne pouvaient se représenter autrement que ceux-ci les mouvements astraux et les expliquaient par les excentriques et les épicycles. Seuls des auteurs qui furent plus philosophes qu’astronomes, comme Ibn ヘufayl ou al-Bi レr dj 稜 (Alpetragius ou Alpetrage), essayèrent de faire appel à une théorie spéciale dont on ne peut dire qu’elle fut héliocentrique ni qu’elle remit en cause le mouvement strictement circulaire des corps célestes.

Quelques détails doivent être connus concernant l’astronomie arabe classique. Les sphères – ce que l’Occident médiéval appelait les cieux – étaient pour Aristote et Ptolémée au nombre de huit (sept pour les planètes et un pour les étoiles fixes); ce nombre sera conservé par les premiers astronomes arabes, tels al-Fargh n 稜 et al-Batt n 稜. Certains auraient voulu les ramener à sept pour se conformer au Coran (II, 27), mais cela ne fut jamais accepté par les astronomes. D’autre part, quand Ibn al-Haytham, au XIe siècle, fit admettre dans l’enseignement la doctrine des sphères solides d’Aristote, il fallut y ajouter une neuvième sphère sans étoiles, qui communiquait le mouvement diurne aux autres sphères et qui, acceptée ensuite par tous les astronomes, fut appelée «la sphère universelle», «la plus grande sphère», «la sphère des sphères», «la sphère unie» (al-falak al-a レlas ). En général, les fal sifa , tels Avicenne et Ibn ヘufayl, acceptèrent ces neufs sphères, mais Averroès (Ibn Rushd) en resta au nombre de huit.

L’obliquité de l’écliptique par rapport à l’équateur, un des fondements du calcul astronomique, ne manqua pas de poser un problème aux astronomes musulmans. Les Grecs, qui depuis Ératosthène (230 av. J.-C.) l’avaient calculée, avaient trouvé 230 51 20 et considéraient ce chiffre comme invariable. Les Arabes furent étonnés de trouver une valeur plus faible (al-Batt n 稜, par exemple, arriva à 230 35 ) et en vinrent à se demander s’il n’y avait pas eu diminution de l’obliquité, ou bien si les observations des Anciens n’étaient pas erronées. Al-Batt n 稜 adopta la seconde hypothèse, tandis que d’autres, s’appuyant en outre sur la précession des équinoxes, imaginèrent la théorie, en fait inadéquate, de la «trépidation» (ou «libration») des fixes ( ムarakat al-iqb l wal-idb r ), admise par Ibn Qurra et, sous une

forme un peu différente, par al-Zarq l 稜. Mais les observations réitérées persuadèrent les astronomes qu’il y avait effectivement une très légère diminution, ce qui fut reconnu universellement au XIIIe siècle. Était-elle continue ou périodique, et dans quelles limites? Les savants musulmans ne purent le déterminer. En revanche, les astronomes de Ma’m n eurent le mérite de reconnaître que l’apogée solaire est lié au mouvement des étoiles fixes et à celui des apogées des planètes, c’est-à-dire au déplacement des longitudes dû à la précession des équinoxes.

La théorie générale de Ptolémée ne rencontra d’opposition qu’en Espagne, où Ibn B djdja (Avempace), Ibn ヘufayl et Ibn Rushd rejetèrent, au nom d’Aristote, cette représentation des mouvements célestes. Alpetrage (m. en 1204) alla jusqu’à nier tout mouvement céleste d’occident en orient. Mais ces positions des philosophes espagnols ne trouvèrent aucun crédit auprès des astronomes.

Comme Ptolémée, les premiers astronomes musulmans s’abstinrent de définir la nature des sphères célestes; ce problème ressortit d’ailleurs à la physique et à la métaphysique et non à l’astronomie, qui ne s’intéresse alors qu’à l’aspect mathématique des sphères. Une fois admise la thèse aristotélicienne des sphères solides, les auteurs musulmans en vinrent à considérer celles-ci et les corps célestes comme constitués par une substance unique, un cinquième élément différent des quatre éléments sublunaires. La solidité des sphères assure la fixité des étoiles, qu’elles entraînent dans leur rotation. Cependant, si l’on s’en tient à ces travaux d’observation, importants certes, aux multiples tables d’observation comme celles d’Ibn Y nis, on ne peut comprendre que partiellement le mouvement de recherches astronomiques qui fut si intense chez les savants arabes. Les astronomes-mathématiciens, comme al-B 稜r n 稜, N ルir al-D 稜n al- ヘ s 稜, Qu レb al-D 稜n al-Sh 稜r z 稜 et beaucoup d’autres, ont, par des amendements successifs du système ptoléméen, préparé l’avènement de Copernic. Ce mouvement atteint son apogée avec l’astronome du XVe siècle Ibn al-Sh tir, dont la théorie du mouvement des planètes, encore que géocentrique, n’est pas pour autant ptoléméenne: Ibn al-Sh tir considère, en effet, le mouvement longitudinal des planètes comme composé de mouvements circulaires uniformes et en donne de nombreux modèles qui s’avèrent identiques à ceux que Copernic utilisera plus tard.

5. L’astrologie

À côté de l’astronomie, dont le caractère scientifique est sans cesse affirmé dans les classifications, apparaît une pseudo-science, l’astrologie, qui connut une très grande vogue au Moyen Âge comme dans l’Antiquité, mais se heurta à une vive opposition de la part des philosophes et des théologiens, et finalement fut condamnée par la religion comme incompatible avec elle.

Cette discipline repose fondamentalement sur le principe que l’univers est un tout et que le monde sublunaire est soumis aux mouvements des astres, soit que ceux-ci influent réellement sur lui, soit qu’il y ait une certaine correspondance, une «analogie» entre les changements d’ici-bas et les mouvements sidéraux, qui peuvent alors être compris comme des signes, des indications (dal ’il ) des événements terrestres. Dès lors, l’observation des astres permettra à ceux qui savent lire ces «signes dans le ciel» de connaître le présent et l’avenir. L’«outillage» de l’astrologue se ramène pour l’essentiel aux éléments suivants: tout d’abord les astres eux-mêmes et leurs positions par rapport à la Terre et les uns par rapport aux autres (cinq combinaisons sont possibles: la conjonction et les quatre «aspects» ou «applications»); ensuite les signes du zodiaque, qu’on peut considérer soit isolément soit groupés par ensembles de trois, ou qu’on divisera encore jusqu’à envisager pour chaque degré un caractère spécial (les signes masculins ou féminins, les luisants, les ténébreux, les colorés, les fumeux, ceux qui augmentent le bonheur, etc.). Certaines parties du zodiaque ont une importance particulière par rapport au Soleil, à la Lune et aux cinq planètes: ils en sont les «termes», les «domiciles» et les «détriments», les «exaltations» et les «chutes».

L’horizon et le méridien jouent aussi un grand rôle par leurs points d’intersection avec l’écliptique, qui sont appelés les quatre pivots (cardines ): l’ascendant (al- レ li‘ ) qui est le point de l’écliptique montant à l’horizon, le pivot de la Terre, le descendant, le point culminant. L’écliptique est ainsi partagé en douze sections, les «douze maisons célestes» (buy t ) sur lesquelles se fonde toute activité astrologique. Enfin, chaque région géographique étant soumise à une influence particulière, il faudra également en tenir compte.

En notant précieusement la combinaison de ces divers éléments, l’astrologue pourra se livrer à trois sortes d’opérations, obéissant à des principes différents. Il peut d’abord répondre à des questions (mas ’il , quaestiones ) sur la santé d’une personne absente, sur l’identité d’un voleur, etc.; puis calculer le moment propice pour une entreprise importante (ikhtiy r t , electiones ). C’est ainsi que, selon Ya‘q b 稜 dans son livre sur Les Pays , le calife al-Man ル r jeta les fondements de Bagdad «au temps fixé par les astrologues Nawbakht et M sh ’ All h». Enfin l’astrologue peut prévoir l’avenir: le «système généthialogique», en effet, repose sur le principe qu’à l’instant de la naissance d’un être humain ou de l’apparition d’un événement, la configuration de la sphère céleste fixe irrévocablement la destinée du nouveau-né ou les conséquences de cet événement.

Un tel déterminisme, qui fait de l’individu un simple jouet des forces cosmiques, ne tarda pas à soulever les critiques des hommes de religion, ainsi que de nombreux philosophes, en particulier F r b 稜, Avicenne et Averroès. Il eut toutefois la faveur de certains penseurs comme Kind 稜 et les Ikhw n al- プaf ’ et d’un théologien comme Fakhr al-D 稜n al-R z 稜. Mais quelles qu’aient été ces oppositions et ces condamnations, l’astrologie resta très populaire jusqu’à la période moderne, où la révolution copernicienne – qui en sapait les principes – et la pénétration de la civilisation occidentale firent perdre à ces théories le crédit dont elles jouissaient dans le monde musulman.

Il importe cependant de signaler la supériorité de l’astrologie arabe par rapport à celles dont elle s’inspirait. Ses sources étaient celles de l’astronomie indienne, persane et surtout grecque: elle se réclamait notamment de Ptolémée (Tetrabilion ), de Dorotheos Sidonius, d’Antiochus, de Vettius Valens, de Teukros. Mais l’immense progrès réalisé dans les observations astronomiques elles-mêmes et l’emploi des procédés mathématiques pour le calcul de l’«outillage astrologique» donnèrent à l’astrologie musulmane une allure «scientifique», surtout dans la phase préparatoire qui consiste à établir les «données». D’ailleurs cette phase ressortit à l’astronomie proprement dite, et ses opérations sont exposées, avec toute la précision souhaitable, dans les traités d’astronomie à côté d’autres problèmes de trigonométrie.

6. Les sciences «naturelles»

Les sciences «naturelles» comprennent la physique proprement dite, entendue au sens aristotélicien, et un certain nombre de disciplines qui s’y rattachent. On laissera de côté cette «physique», qui dépend de la philosophie, pour ne traiter ici avec quelque détail que des deux sciences qui ont été particulièrement étudiées par les savants musulmans: la médecine et l’alchimie.

La médecine

Quand les musulmans parurent sur la scène du monde, la médecine avait déjà parcouru une longue période de son histoire avec Hippocrate, Galien et Dioscoride et avec les médecins de l’école d’Alexandrie, pour venir se concentrer au VIe siècle à Gond 勒sh p r (en arabe: Djund 稜s b r). Cette ville du sud-ouest de la Perse avait accueilli tour à tour les Nestoriens de l’école d’Édesse, lorsque celle-ci fut fermée en 489, et les philosophes néo-platoniciens de l’école d’Athènes, qui fut fermée elle-même en 529 par Justinien. Les premiers apportèrent avec eux leurs traductions en syriaque des textes grecs et, bientôt, la ville connut un essor intellectuel remarquable. Sous le règne de Chosroès An sharw n – le Qi ルra des chroniques arabes –, l’école parvint à son apogée. Grecs, juifs, chrétiens, Syriens, hindous et Persans s’y côtoyaient dans un admirable esprit de tolérance. Gond 勒sh p r devint un centre médical de première importance, avec des hôpitaux où non seulement on prodiguait des soins aux malades, mais où l’on assurait également un enseignement théorique et pratique de la médecine.

En 638, la ville fut prise par les Arabes, dont la langue y était probablement déjà connue et parlée, tant donné la proximité de la ville de Hira. En tout cas, très tôt après la conquête, des médecins devaient parler l’arabe puisque, selon Ibn Ab 稜 U ルaybi‘a, le célèbre historien de la médecine chez les Arabes, c’est en cette langue que le médecin Djurdj 稜s ben Djibr 稜l de Gond 勒sh p r s’adressa au calife Man ル r lorsqu’il lui rendit visite. La cité connut de véritables dynasties de médecins, qui se transmettaient leur science de père en fils et qui devinrent les maîtres des médecins musulmans.

Mais c’est au VIIIe siècle, à Bagdad, que la médecine prend son essor. En 705, le calife Man ル r, malade, demanda qu’on lui fît venir le meilleur médecin de son empire. On lui désigna Djurdj 稜s ben Djibr 稜l, chef des médecins de Gond 勒sh p r, qu’il envoya chercher sur-le-champ. Dès cette époque, la faveur des princes à l’égard de ces cliniciens, et en particulier de la famille des Bukht 稜sh ‘, ne se démentit pas. C’est ainsi que Djibr 稜l ben Bukht 稜sh ‘ demeura au service de H r n al-Rash 稜d pendant vingt-trois ans, puis qu’il s’acquitta de la même fonction auprès d’al-Am 稜n et enfin d’al-Ma’m n. Sous la puissante impulsion du calife Ma’m n s’organisa un intense mouvement de traduction de l’héritage scientifique et philosophique de l’Antiquité, qui représente un des événements culturels les plus importants de l’histoire. Ma’m n s’appuya en cette entreprise sur un homme de génie, ネunayn ben Is ム q (m. en 873), que le docteur Leclerc, dans sa célèbre Histoire de la médecine arabe , ne craint pas d’appeler «la plus grande figure du IXe siècle». Originaire d’une tribu chrétienne des environs de Hira, ネunayn parvint à maîtriser parfaitement les quatre principales langues de son époque: l’arabe, le persan, le grec et le syriaque. Il apprit également la médecine sous la direction des maîtres chrétiens d’alors. Mieux que quiconque, il était donc préparé pour la tâche immense qu’allait lui confier Ma’m n. Il accompagna la mission chargée de se rendre à Byzance pour y chercher de bons manuscrits, puis il s’entoura d’une excellente équipe de traducteurs et l’on se mit à l’œuvre. L’activité de ネunayn lui-même dépasse l’imagination: il traduisit ou révisa non seulement des œuvres de Platon, d’Aristote, d’Autolycus, de Menelaüs, d’Apollonius de Tyane, d’Alexandre d’Aphrodise, d’Arthémidore, mais également la plupart de celles d’Hippocrate, de Galien et de Dioscoride, les trois auteurs qui sont à la base de toute la science médicale chez les Grecs, et qui le restèrent pour les Arabes. Ces ouvrages devinrent essentiels pour tous ceux qui voulaient apprendre la médecine; on en fit des résumés, des commentaires, des extraits, et, enrichis par l’expérience des médecins arabes, ils inspireront les grands traités ultérieurs. Mais ネunayn, outre cette extraordinaire activité de traducteur, composa lui-même une centaine d’ouvrages dont la majeure partie a trait à la médecine. Il se rendit célèbre dans le Moyen Âge latin principalement par son Ars parva Galeni , connu aussi sous le nom de Isagoge Johannitii . Trois autres de ses livres eurent une influence prépondérante en Orient: les Questions médicales , sorte d’introduction à la médecine générale sous forme de questions et de réponses, selon un procédé cher aux écrivains de cette époque; les Dix Discours sur l’œil et enfin les Questions sur l’œil .

Cette intense production scientifique, ainsi que la mise en application des principes transmis par les Grecs – enrichis de traditions provenant de l’Iran et des Indes –, ne tarda pas à porter ses fruits. L’art médical se répandit. Les précieux manuscrits parcoururent les vastes contrées de l’empire musulman. Des hôpitaux furent construits et les califes nommèrent à leur tête des médecins éminents, parmi lesquels le plus grand est sans contredit Ab Bakr al-R z 稜 (m. en 923), le Rhazès des Latins du Moyen Âge.

R z 稜 fut le moins dogmatique de ses confrères, comme le montre le journal de clinique dans lequel il notait soigneusement les progrès d’une maladie et les résultats du traitement. L’œuvre de R z 稜 est une véritable encyclopédie, comme ce fut le cas pour la plupart des grands auteurs médiévaux. La liste établie par B 稜r n 稜 mentionne cinquante-six traités médicaux, trente-trois ouvrages consacrés aux sciences de la nature, huit à la logique, dix aux mathématiques, dix-sept à la philosophie, six à la métaphysique, quatorze à la théologie, vingt-deux à la chimie et dix portant sur des sujets variés.

Le plus célèbre des ouvrages médicaux de R z 稜 traite de la variole et de la rougeole ; les traductions latines médiévales lui donnent le titre de De variolis et morbilis , ou parfois de Liber de pestilentia . Ce n’est plus une simple démarcation d’Hippocrate ou de Galien, mais un traité original, fondé sur des observations personnelles, patientes et minutieuses, et qui constitue le premier que l’on possède sur les maladies infectieuses. La variole et la rougeole y sont décrites avec précision, avec les symptômes qui les différencient. Dans l’examen de l’évolution de la maladie, R z 稜 conseille de prêter grande attention au cœur, au pouls, à la respiration, aux excreta. Il remarque qu’une haute température favorise l’éruption; il prescrit des mesures pour protéger les yeux, le visage, la bouche et pour éviter de profondes escarres.

On peut citer en deuxième lieu le Kit b al- レibb al-Man ル r 稜 (en traduction latine Liber medicinalis ad Almansorem ), qui est une encyclopédie de médecine pratique composée de dix traités, selon un plan dépendant presque uniquement de sources grecques: l’anatomie, les tempéraments, l’hygiène, les maladies de la peau, les médicaments simples, la diététique des voyageurs, la chirurgie, les poisons, le traitement des diverses maladies, les fièvres. Enfin, l’ouvrage le plus considérable de R z 稜 est son fameux Kit b al- ム w 稜 f 稜 l- レibb , devenu en latin le Continens , c’est-à-dire ce qui contient toute la médecine.

À la même époque que R z 稜, un grand médecin juif, Is ム q ben Sulaym n al-Isr ’ 稜l 稜, connu en Occident sous le nom d’Isaac Judaeus, exerça à Kairouan, en Tunisie, où il fut surtout célèbre comme oculiste. Ses livres sur les éléments, sur les fièvres, sur l’urine furent traduits en latin au Moyen Âge par Constantin l’Africain. Son Guide du médecin , dont l’original arabe est perdu, a été conservé dans sa traduction hébraïque. Traduit en latin, son traité Des particularités de la diète fut imprimé à Padoue en 1487 et se trouve être ainsi le premier ouvrage de diététique à figurer dans les annales de l’imprimerie. Le meilleur élève d’Isaac Judaeus fut le musulman Ibn al-Djazz r, ou Algazirah, originaire de Tunisie, mort en 1009. Son Z d al-mus fir fut traduit par Constantin l’Africain en latin sous le titre de Viaticum peregrinantis , puis en grec sous celui de Ephodia .

Comme l’Afrique du Nord, l’Espagne musulmane eut bientôt elle aussi ses médecins, ses pharmacologues et ses botanistes. Les Arabes, qui s’en étaient emparé dès le début du VIIIe siècle – et devaient y demeurer sept siècles –, y acclimatèrent de nombreuses plantes utiles: le dattier, la canne à sucre, le riz, le coton, l’oranger, etc.; dans le Sud, ils cultivèrent des plantes médicinales qui y réussirent admirablement. C’est Cordoue qui fut en Espagne le foyer culturel et scientifique le plus important. Parmi les maîtres qui illustrèrent la science médicale, trois sont postérieurs à Avicenne: Abhomer ou Avenzoar (Ab Marw n Ibn Zuhr, m. en 1178?), Averroès (Ibn Rushd, m. en 1198) et Maimonide (Ab ‘Imr n M s ben Maym n ben ‘Abd All h, m. en 1204), Abulcasis (Ab ’l-Q sim al-Zahr w 稜, m. en 1013) est, lui, antérieur à Avicenne. Il est, chez les Arabes, le meilleur représentant de la chirurgie, domaine dans lequel son ouvrage Al-Ta ルr 稜f eut la même autorité que le Canon d’Avicenne en médecine. La partie de cette œuvre (le trentième traité) qui est spécialement consacrée à la chirurgie a été éditée à part et constitue le premier écrit médical qui donne des figures d’instruments de chirurgie. Le Ta ルr 稜f contient trois livres. Le premier a trait à la cautérisation, dont l’abondant usage dans la médecine arabe remonte à une recommandation du prophète; Abulcasis conseille d’y recourir dans divers cas de désordres chirurgicaux mais aussi dans l’apoplexie, l’épilepsie, les dislocations de l’épaule, de même que dans l’hémorragie artérielle, après avoir pratiqué au préalable une compression avec les doigts. Le deuxième livre décrit les interventions pour lesquelles on fait usage du bistouri, ainsi que la chirurgie oculaire et dentaire, l’opération de la pierre, l’obstétrique, l’extraction des flèches, etc.; il recommande l’emploi des dents artificielles en os de bœuf; il dépeint également les méthodes de traitement des blessures, les nombreuses sutures possibles, les instruments à utiliser. Enfin, le troisième livre traite des fractures et des luxations, et mentionne la paralysie consécutive à la fracture de l’épine dorsale; il décrit la position gynécologique, connue sous le nom de «position de Kalcher», et signale certains appareils gynécologiques.

La médecine musulmane atteint son sommet avec Avicenne. Moins clinicien que Rhazès, il est plus philosophe, plus systématique; il essaie de mettre de l’ordre dans l’immense acquis des sciences médicales héritées de l’Antiquité et enrichies par ses prédécesseurs. Il a laissé une autobiographie d’où il ressort qu’il fut un génie précoce et connaissait dès l’âge de seize ans la médecine de son époque. Sans s’attarder ici à la vie d’Avicenne pas plus qu’à son grand ouvrage philosophique (Kit b al-shif ’), qui eut un si grand retentissement sur les penseurs chrétiens médiévaux, on se bornera à signaler son œuvre médicale, le Canon de la médecine (Q n n f 稜 ’l- レibb ), réplique arabe, au Moyen Âge, des grands écrits d’Hippocrate et de Galien. L’ouvrage comprend cinq livres. Le premier, Kit b al-kulliy t , contient des généralités sur la science médicale et traite, entre autres exemples, des éléments et des humeurs, des membres, des muscles, des nerfs, des veines, en un mot de l’anatomie; puis des maladies et de leurs causes envisagées d’un point de vue général, du pouls, de la digestion; il aborde ensuite l’hygiène et les règles générales des traitements: purgations, bains, etc. Le deuxième livre est consacré aux médicaments simples; c’est le traité le plus complet de son temps: en huit cents paragraphes, il décrit les médicaments d’origine minérale, animale et végétale, en reprenant méthodiquement les traités de Galien et de Dioscoride en la matière et en y ajoutant un certain nombre de remèdes nouveaux. Le troisième livre a pour objet les maladies qui affectent en particulier tel ou tel membre, interne ou externe. Le quatrième volume traite de celles qui ne sont pas spéciales à un membre, comme les fièvres; il y est également question des tumeurs et des pustules, des poisons, des fractures des membres, et aussi des soins relatifs à la beauté. Enfin, le dernier livre est consacré aux médicaments composés, les aqrabadh 稜n (du grec 塚福見﨏晴嗀晴礼益): thériaques, électuaires, médicaments concassés, poudres et drogues sèches, potions, sirops, etc.; il se termine par un court fragment sur les balances et sur un instrument de mesure tiré d’Ibn Serapion.

Avicenne ne se contente pas de compléter ses devanciers: il apporte sa propre expérience. C’est ainsi qu’il distingue la médiastinite de la pleurésie, reconnaît le caractère contagieux de la tuberculose, la transmission des épidémies par l’eau et la terre; il signale qu’il a expérimenté la vertu de l’ail contre le venin de serpent, etc. Le Canon d’Avicenne a été étudié avec ardeur et abondamment commenté, pendant des siècles, par les médecins musulmans qui en firent également des résumés. L’un des plus célèbres, Al-M djiz al-Q n n , est dû à Ibn al-Naf 稜s; celui-ci, originaire de Damas, travailla au Caire, où il mourut en 1288, et fut nommé chef des médecins d’Égypte. En 1924, dans sa thèse à l’université de Fribourg-en-Brisgau, un jeune médecin égyptien, le docteur Tarawi, a montré, à partir du texte inédit du commentaire d’Ibn al-Naf 稜s sur l’anatomie d’Avicenne, que le médecin damasquin y prenait le contrepied de Galien et d’Avicenne et qu’il avait décrit d’une manière à peu près exacte la petite circulation, ou circulation pulmonaire, près de trois siècles avant la découverte de celle-ci par Michel Servet (1556) et Rinaldo Colombo (1559).

En liaison étroite avec les sciences médicales, la pharmacologie connut une grande vogue chez les auteurs musulmans. Elle fit l’objet d’ouvrages spécialisés, parmi lesquels il faut mentionner La Science des drogues (Kit b al- ルaydala f 稜 ’l- レibb ) du célèbre B 稜r n 稜, le Recueil des remèdes simples (Al-Dj mi‘ li-mufrad t ), œuvre considérable d’Ibn al-Bay レ r, originaire de Malaga. Les médecins musulmans ont enrichi la materia medica héritée de la Grèce en y ajoutant de nouveaux remèdes: le camphre, le séné, le tamarin, la casse purgative, les myrobolans, la noix de muscade, l’ergot de seigle, la rhubarbe, la racine de galanga, sans parler d’une foule d’autres drogues aujourd’hui surannées. Par ailleurs, les Arabes ont introduit en Occident le sucre, diverses variétés de citron, la mangue, le jasmin, le poivre, etc., et ont mis au point la préparation de nombreux colorants, notamment des tanins (Meyerhof).

L’alchimie

Il conviendrait de parler ici d’autres branches connexes qui ont également bénéficié de l’apport des savants musulmans: l’hygiène et la diététique, l’odontologie, l’ophtalmologie, la toxicologie, la physiognomonie, ainsi que la zoologie (cf. les ouvrages de Dj ムi ワ, de Dam 稜r 稜, de Qazw 稜n 稜), l’agriculture (cf. L’Agriculture nabatéenne d’Ibn Wa ムshiyya, le Kit b al-fil ムa d’Ibn al-‘Aww m), la botanique, l’horticulture, l’art vétérinaire, l’hippiatrie, la fauconnerie, etc. Mais on se bornera à signaler l’influence décisive qu’auront les savants sur l’alchimie, science dont l’importance fut considérable au Moyen Âge.

D’après le Fihrist d’Ibn al-Nad 稜m, c’est le prince ‘umayyade Kh lid ben Yaz 稜d (m. en 704) qui fut le premier à s’en occuper chez les Arabes. Il se serait initié à cette discipline à Alexandrie, sous la direction d’un certain Marianos qui aurait écrit un traité alchimique en 2 315 vers, le Paradis de la sagesse . Mais c’est avec Dj bir ben ネayy n, le Geber des Latins, que l’alchimie prit réellement son essor. Né à ヘ s en Iran vers 721, il s’établit comme alchimiste à la cour de H r n al-Rash 稜d et devint l’ami personnel du sixième im m sh 稜‘ite Dja‘far al- プ diq (m. en 768), qu’il considéra comme son maître. Il avait à Koufa (K fa) un laboratoire qui fut retrouvé deux siècles après sa mort dans le quartier de la porte de Damas, et où l’on découvrit un mortier en or pesant deux livres et demie. Il existe un immense corpus djabirien, dont une grande partie, selon l’étude minutieuse qu’en a faite Paul Kraus, aurait été écrite plus tard par un groupe d’ismaéliens. Il est donc difficile de distinguer ce qui appartient en propre à Dj bir. Les groupes les plus importants de ces traités sont les suivants: les CXII Livres , dédiés aux Barmécides et fondés sur la Table d’émeraude (Tabula smaragdina ); les Dix Livres de rectification , qui décrivent les progrès faits par les alchimistes; les LXX Livres , dont une grande partie fut traduite en latin; les Livres des balances (Kutub al-maw z 稜n ), où il expose sa théorie alchimique.

La théorie de Dj bir, qui s’inspire de la doctrine aristotélicienne de la matière mais en la développant dans une ligne différente, pourrait se résumer de la manière suivante. Le substrat général de tout l’univers sensible est la «matière première», sujet de toutes les transformations, qui n’existe que revêtu d’une «forme».

À partir de cette matière première naissent en effet les «quatre éléments»: le feu et l’eau, la terre et l’air; ces éléments sont «formés» par l’union de la matière première et de la forme substantielle correspondante.

Outre cette forme substantielle, il existe des «propriétés naturelles», appelées également «natures»: le chaud et le froid, le sec et l’humide. Ces «propriétés» qualifient les quatre éléments: le feu est sec et chaud; l’air est chaud et humide; l’eau est humide et froide; la terre est froide et sèche.

Les quatre éléments peuvent se transformer les uns en les autres, mais selon un ordre donné: il faut qu’entre les deux éléments il y ait une propriété commune; les transformations se font ainsi selon les directions suivantes: terre 兩 feu, feu 兩 air, air 兩 eau, eau 兩 terre, mais jamais entre feu et eau ni entre terre et air. Il peut y avoir un cycle entier, mais par intermédiaire.

Les métaux ont quatre natures, deux externes et deux internes. Par exemple, le plomb est froid et sec extérieurement, chaud et humide intérieurement. L’or est chaud et humide extérieurement, froid et sec intérieurement.

Les sources de ces natures sont le soufre et le mercure; non pas le soufre et le mercure ordinaires, mais des substances hypothétiques dont le soufre et le mercure représentent la forme la plus proche. Le soufre fournit les natures chaud et sec; le mercure, les natures froid et humide. Sous l’influence des planètes, les métaux sont formés au sein de la Terre par l’union du soufre et du mercure. Cette théorie sera communément admise jusqu’à l’apparition de la théorie du phlogistique au XVIIe siècle.

Quand le soufre et le mercure sont absolument purs et qu’ils se mélangent dans un rapport idéal, ils donnent le plus parfait des métaux, l’or. Lorsque interviennent des défauts quelconques, surtout dans les proportions, on obtient d’autres métaux: argent, plomb, étain, fer, cuivre. Mais, les éléments étant les mêmes, on peut chercher à remédier à cette impureté et à retrouver l’équilibre qui caractérise l’or et l’argent. On y arrive au moyen d’élixirs. Toutefois, au lieu de perdre beaucoup de temps à faire des essais empiriques, Dj bir élabore sa théorie de l’équilibre ou de la «balance», fondée sur le fait que tout dans la nature comporte poids de dimension; il s’agira non d’établir une égalité de masse ou de poids, mais un équilibre des «natures». D’après cet alchimiste, à côté des divers élixirs permettant d’obtenir des transformations spécifiques, il existe un élixir majeur capable d’effectuer toutes les transformations. Dj bir donna par ailleurs des indications très claires pour la préparation de certains produits. Il divise les minéraux en trois groupes: les esprits, qui se volatilisent quand on les chauffe (soufre, arsenic ou réalgar, mercure, camphre, sel ammoniac); les métaux, qui sont des substances fusibles, malléables, sonores, douées d’un certain éclat (or, argent, plomb, étain, cuivre, fer et kharsini ); les substances non malléables, qui peuvent être réduites en poudre et qui se subdivisent en huit familles.

Dans son Kit b ルund q al- ムikma (Coffre de la sagesse ), Dj bir fait mention de l’acide nitrique. En d’autres écrits, il signale que le cuivre colore la flamme en vert; il indique les procédés pour préparer l’acier, pour raffiner les autres métaux, pour teindre les habits et le cuir, pour fabriquer des vernis rendant imperméables les vêtements, pour préserver le fer de la rouille, pour mordancer les tissus avec de l’alun, pour fabriquer à partir de la marcassite «dorée» une encre phosphorescente, remplaçant celle, trop coûteuse, qu’on obtenait avec de l’or. Il mentionne le bioxyde de manganèse dans la fabrication du verre et sait concentrer l’acide acétique en distillant le vinaigre. Il décrit avec exactitude des opérations comme la calcination, la cristallisation, la dissolution, la sublimation et la réduction.

R z 稜 donna à l’alchimie un aspect plus scientifique, et à la description des appareils et des opérations plus de précision. Comme Dj bir, il admet les quatre éléments comme substrat de toutes les substances, mais sans recourir à la théorie compliquée de la «balance». Pour lui, l’alchimie enseigne d’une part à transformer les métaux non précieux en argent ou en or et, d’autre part, à convertir du quartz ou même du simple verre en pierre précieuse (émeraude, saphir, rubis, etc.); ces transformations s’effectuent au moyen d’élixirs appropriés, auxquels pourtant R z 稜 ne donne jamais le nom de «pierre philosophale». Il admet par ailleurs la théorie de Dj bir selon laquelle les métaux sont composés de soufre et de mercure; à ceux-ci il joint parfois une troisième substance de nature saline.

L’intérêt de R z 稜 apparaît surtout dans la chimie appliquée. Son Sirr al-asr r (Secretum secretorum ) donne pour la première fois une division claire des corps chimiques: aux élucubrations théoriques, il préfère le travail positif du laboratoire. Par sa description des appareils (foyer, soufflet, creuset, appareil distallatoire, alambic, aludel, bain-marie, fioles diverses, tamis, filtres, etc.), des multiples opérations chimiques (distillation, calcination, évaporation, cristallisation, sublimation, filtration, amalgamation, cération, etc.) et par sa classification systématique des produits des trois règnes qui sont employés dans le laboratoire de l’alchimiste, déjà R z 稜 apparaît comme le témoin de l’avènement de la chimie proprement dite.

Il divise les substances minérales en six sections: les esprits (mercure, sel ammoniac, sulfure d’arsenic [orpiment et réalgar], soufre); les corps (or, argent, cuivre, fer, plomb, étain, kharsini ); les pierres (pyrites, oxyde de fer, oxyde de zinc, azurite, malachite, turquoise, hématite, oxyde d’arsenic, sulfure de plomb, mica et abseste, gypse, verre); les vitriols (noir, blanc, vert, jaune, rouge; aluns); les borax; les sels. À ces substances «naturelles», R z 稜 ajoute un certain nombre de substances obtenues artificiellement: la litharge, l’oxyde de plomb, le vert-de-gris, l’oxyde de cuivre, l’oxyde de zinc, le cinabre, la soude caustique, les polysulfures de calcium et divers alliages.

Le grand mérite de R z 稜 aura été de rejeter les pratiques astrologiques et magiques pour s’attacher à ce que l’expérience peut prouver. Son insistance en vue de promouvoir ces recherches de laboratoire ne manqua pas de porter ses fruits en pharmacologie. C’est ainsi que le Persan Ab l-Man ル r Muwaffaq, au Xe siècle, apporte au sujet de certains médicaments des détails qui témoignent d’un véritable progrès en ce domaine.

Les recherches des musulmans dans les diverses sciences s’accompagnent évidemment de perfectionnements intéressants dans le domaine des techniques, des métiers, de l’industrie: tissus, étoffes, tapis, teintures, émaux, céramiques, fabrication de divers papiers et de parfums, préparation des cuirs, trempe de l’acier, extraction des métaux, joaillerie, damasquinerie, autant de secteurs où l’ingéniosité des artisans met à profit les expériences et les découvertes des savants.

Mais le magnifique essor scientifique qui a marqué le Moyen Âge musulman s’est arrêté pratiquement au XVe siècle. Les raisons de ce que George Sarton aimait à appeler «le miracle de la culture arabe» puis celles de la décadence sont fort complexes. On peut affirmer du moins que la question de race ou de nationalité ne joue pas dans cet essor un rôle essentiel. À Bagdad, au Caire, à Cordoue ou à Samarkand, l’effort scientifique a mobilisé le Persan et l’Arabe, le Turc et l’Andalou, le Berbère et le Sabéen. La vie culturelle se développe ou s’étiole et meurt selon qu’elle trouve un terrain propice ou un milieu destructeur.

D’autre part, il faut dire que l’islam ne constituait pas un obstacle véritable à la recherche scientifique, mais qu’il en stimula, au contraire, certaines branches. En l’absence d’une institution spécifique destinée à préserver l’interprétation orthodoxe de la parole divine (le Coran) et de la tradition religieuse (les ムad 稜th ), l’interprétation du donné religieux restait assez large pour permettre aux différentes doctrines théologiques et philosophiques de coexister et de s’affronter. Cette possibilité a garanti la liberté nécessaire au développement des recherches intellectuelles et scientifiques.

Les savants de l’Islam médiéval ont été sans conteste à la pointe du progrès. Le silence de plusieurs siècles qui a suivi cette suprématie de la culture arabe a commencé à faire place, à partir du milieu du XIXe siècle, à la renaissance (nah ボa ) qui aujourd’hui porte ses fruits dans tous les pays musulmans. Des universités modernes et des instituts de recherche ont été fondés dans les grandes capitales du monde islamique: Alger, Rabat, Tunis, Le Caire, Bagdad, Beyrouth, Téhéran, Karachi. Et une élite intellectuelle, ouverte aux nouvelles méthodes scientifiques, collabore avec les savants du monde entier.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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